L'élevage industriel en question

De nombreuses recherches actuelles posent la question de savoir si les animaux de rente ont ou non conscience qu'ils périront, plongés dans un bain électrique, assommés par le coup d'un pistolet à projectile captif ou étouffés au gaz carbonique. Dans ses interprétations, un chercheur ne peut pas éliminer cette hypothèse, mais doit rester prudent face à l'anthropomorphisme hâtif. Dans Faut-il manger les animaux ?, Safran Foer raconte l'histoire de cette vache qui, en 1998, s'est échappée d'un abattoir situé dans le nord-ouest du Missouri pour fuir la mort. Le bovidé a traversé des routes et piétiné des clôtures avant de se jeter dans un lac. « Lorsque les animaux sont conduits à l'abattoir, ils sont regroupés et tombent bien souvent dans un état de stress très intense, explique Marc Vandenheede. Ce stress se manifeste de manière physiologique par diverses sécrétions dont la production de phéromones qui peuvent jouer le rôle d'alarme. Les autres animaux du groupe peuvent percevoir ce message d'alarme ». Ces messages sont connus chez tous les organismes vivants, organismes unicellulaires (bactéries), humains et plantes. Les animaux possèdent donc une perception du danger. Chez l'animal, il existe une forme de sentiment de l'insécurité. Ils manifestent également certains comportements – tendance notamment à s'isoler, à quitter le groupe et à moins communiquer – qui traduisent le sentiment qu'ils arrivent à la fin de leur vie.

vaches

La manière dont on traite les animaux a-t-elle une influence dans la qualité des aliments « Au départ, on peut avoir tendance à opposer productivité et bien-être, indique Marc Vandenheede. Les exploitants savent que maltraiter les animaux est un peu comme taper sur son porte-monnaie et faire tomber l'argent à terre... » Pour obtenir des produits de qualité, un éleveur sait qu'il doit respecter le bien-être de ses bêtes, c'est-à-dire leur donner à manger en quantité suffisante, les protéger des prédateurs et des rigueurs climatiques.

©  Fotolia - Coco

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous avons assisté aux transformations des élevages dits traditionnels en élevages intensifs. Sur base de notions de productivité et des normes de technicité, les industriels se sont mis à produire des œufs à la manière dont nous produisons des voitures. « Nous nous sommes retrouvés avec une productivité très importante, mais qui n'a plus tenu compte de ses valeurs de base selon lesquelles il faut un animal bien entretenu pour obtenir un aliment sain. Au contraire, le but était d'en faire le plus possible... et non pas le meilleur possible », continue Marc Vandenheede.

porcherie

Au fur et à mesure de l'industrialisation des chaînes de production, l'exploitant a vu ses responsabilités grignotées. À l'origine, l'éleveur était propriétaire de ses moyens de production et décidait de la manière dont il allait fonctionner avec ses animaux. Quasiment toutes les petites fermes ont disparu au profit de vastes complexes détenus par des multinationales de l'agroalimentaire. Nous sommes passés à un élevage hors-sol, où l'exploitant – d'une porcherie industrielle, par exemple –, s'est retrouvé avec des porcs logés dans un hangar, qu'il doit désormais nourrir avec des denrées industrielles. Devenus simples maillons d'une longue chaîne, beaucoup d'exploitants vivent psychologiquement très mal le fait de voir leurs animaux se faire maltraiter.

© Fotolia - Dario Sabljak 

Dans ce système, le but des défenseurs du bien-être animal est de gripper la machine. La souffrance, les émotions et les besoins de base étant désormais reconnus chez les animaux, il s'agit aujourd'hui d'adopter des choix de société et fixer les frontières entre l'acceptable et l'inacceptable. Les données scientifiques nourrissent la réflexion concernant le traitement de l'animal. Par exemple, de multiples études scientifiques ont prouvé qu'un stress pathologique produisait des viandes de mauvaise qualité. Un animal stressé peut présenter une diminution de l'efficacité de son système immunitaire et développer certaines bactéries qui pourraient contaminer plus tard les œufs, le lait ou la viande. « Les conditions d'hébergement ont donc une influence sur la qualité sanitaire des produits, résume Marc Vandenheede. En ayant des animaux plus adaptés à leur environnement, nous avons un impact sur la santé humaine puisqu'il existe moins de risques d'avoir des aliments contaminés ».

Cinquante ans après les premières sonnettes d'alarme tirées par les sociétés de protection animale, un grand travail d'information et de conscientisation reste à produire. La parution de Faut-il manger les animaux ? y contribue. L'animal étant à présent considéré comme un être sensible, il n'est plus permis aux éleveurs de s'adonner à n'importe quelle pratique. Il existe aujourd'hui un corpus de recherches scientifiques de qualité qui permet aux pouvoirs publics de construire des projets de société qui prendront en compte au maximum les exigences éthiques des consommateurs.

 Sébastien Varveris
Février 2011

crayongris
 
Sébastien Varveris est journaliste indépendant.

 

 

microgris
Marc Vandenheede est vétérinaire et éthologue. A l'ULg, il s'occupe du comportement et du bien-être des animaux domestiques, ainsi que des questions relatives à l'éthique de l'utilisation de l'animal par l'homme.

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