Communication et télépathie dans les rencontres avec des dauphins

Dans l'univers de pensée occidental contemporain, il est fréquent que celui qui communique avec les animaux ait le sentiment, en transgressant la frontière de l'humanité, d'accomplir un acte surnaturel. Ainsi en est-il de témoignages de rencontres « enchantées » avec des dauphins. Ces récits sont en même temps traversés par un rêve de communication directe et intime avec le monde animal, une communication qui nous révélerait notre véritable nature. 

L'historien Flavius Josèphe attribue la perte de la capacité à dialoguer avec les animaux à notre départ du Paradis, ce qui fait de l'époque où nous comprenions leur langage celle d'un temps d'innocence révolu, quand ils acceptaient de nous « parler » et de nous instruire. Dans la perspective chrétienne, c'est en devenant conscients de nous-mêmes (notamment de notre nudité), en aspirant à la connaissance, que nous avons perdu à jamais le contact direct et intime avec le monde animal. Ainsi comprend-on que, chez nous, les enfants soient réputés communiquer plus aisément avec les animaux. Dans le même ordre d'idées, Aldous Huxley disait qu'il y a dans la communication et le comportement des animaux une naïveté, une simplicité, que l'homme a perdues : son comportement à lui est dévoyé par la tromperie – par l'auto-tromperie, même –, par le but et par la conscience de soi. Selon Huxley, l'homme aurait perdu la « grâce » (cette « intégration des différentes parties de l'esprit – et, particulièrement, de ces niveaux multiples dont un des extrêmes est appelé "conscience" et l'autre "inconscient" » selon la définition de G. Bateson1) que les animaux auraient conservée.


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Il y a sans nul doute de cette quête d'un « soi » unifié (et retrouvé ?) dans les rêves contemporains de rencontre, au sens fort du terme, avec des animaux. Cela n'a rien à voir avec la communication ordinaire. Il n'est donc pas question de contrôler le comportement de l'animal, ni de lui donner des ordres ; c'est un échange qui se situe au-delà même de l'intense communication qui tisse les liens avec les animaux de compagnie. Dans ces rêves de communiquer avec les animaux, la personne aspire à une communication directe et intime, où elle comprend leur langage sans l'avoir jamais appris, où elle accède à un autre monde, dont elle ne soupçonnait même pas l'existence. Dans notre univers culturel, la communication avec l'animal semble être « naturellement » de l'ordre du merveilleux, du mythique, de la magie et de l'enchantement. On voit que dans les mythes et légendes, ceux qui ont acquis l'intelligence du langage des bêtes ont été des sages, des saints, des guérisseurs, des oracles... Ainsi en est-il du Roi Salomon, qui possédait un anneau de Sagesse lui permettant de comprendre le langage des animaux, de Saint François d'Assise qui tenait des discours aux oiseaux, ou de Mélampe, dont le mythe raconte qu'il fut un voyant et médecin d'une grande force, à qui la terre se révélait. Devant sa demeure se trouvait un chêne où des serpents avaient leur nid. Alors qu'il était absent, ses serviteurs tuèrent le vieux serpent, mais Mélampe prit les jeunes sous sa protection et les éleva. Un jour, comme il dormait, les bêtes se dressèrent autour de lui et lui purifièrent l'oreille avec leur langue. Mélampe s'aperçut ensuite qu'il comprenait le langage des oiseaux, qui lui prédirent les choses futures.

Giotto, Le sermon de Saint François aux oiseaux (13e s) 

Dans le monde moderne, le désir de parler et d'échanger directement avec des animaux a changé de forme. Il n'est plus question de prédire des choses futures, d'administrer la sagesse ou de méditer sur la création ­– tout ça est un peu démodé ! Mais ce vieux rêve est toujours bien là. Il a probablement motivé secrètement les recherches sur le langage des singes et des dauphins. Le but officiellement déclaré de ces travaux était d'étudier leur cognition. Mais quand on observe leurs débuts, que ce soit chez J. Lilly ou chez les Gardner, il y a quelque part un idéal de former avec le chimpanzé Washoe ou le dauphin Elvar une communauté de langage qui transgresserait la frontière de l'humanité2

1- Fillette et dauphins

C'est un peu cette même aspiration à sortir des limites du soi qu'on retrouve dans la quête d'une vie extraterrestre. Mais là où ce rêve semble se réaliser, c'est dans les rencontres personnelles avec des dauphins. D'après ceux qui l'ont vécu, entrer en communication avec un dauphin semble être de l'ordre de l'expérience mystique, où l'on découvre quelque chose d'inouï... « Nager avec les dauphins est l'occasion de se reconnecter à la nature et à notre nature profonde, de développer sa conscience au monde, de se projeter dans une autre dimension et de communiquer avec des formes de vie non humaines, mais douées de la conscience de leur existence » peut-on lire dans un prospectus qui propose des voyages à la rencontre des dauphins. C'est l'occasion de découvrir une communication de conscience à conscience, qui tient de la télépathie : « J'ai questionné les Dauphins sur un certain problème que j'avais, et ils m'ont répondu par différentes attitudes corporelles. De cette façon, j'ai obtenu une réponse très précise à ma question, et quand je pense à tout ce qui s'est produit dans l'heure et demie au bord du bassin, alors il est tout à fait évident qu'ils ont vraiment répondu à ma question3 ».




1 Bateson, Gregory. 1977. Style, grâce et information dans l'art primitif. In Vers une Écologie de l'Esprit, Paris, Seuil, tome 1, 140-164
2 Dont je ne parlerai pas ici, car ils relèvent d'une logique très différente.
3 Récupéré sur http://fantastiquephoenix.free.fr/ashtar/dauphin.htm le 30 janvier 2011

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