Ce que posséder un animal signifie

« Plus je connais les hommes, plus j’aime mon chien. Plus je connais les femmes, moins j’aime ma chienne ». L’adage de Pierre Desproges résumerait-il les rapports que nouent entre eux les hommes d’aujourd’hui ? L’humanité serait-elle donc à ce point négligeable pour qu’une attention sans cesse croissante soit légitimement portée sur les animaux de compagnie ? L’animal serait-il la solution aux difficultés qu’un certain nombre de personnes ont à communiquer ?

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La conception du bien-être animal a subi des évolutions au cours des dernières décennies. Cinquante ans après les premières sonnettes d’alarme tirées par les sociétés de protection animale, le bien-être figure à présent dans les textes de loi européens. Dans le cas des animaux de production, le traité de Lisbonne, signé en décembre 2007, stipule qu’ils doivent pouvoir manger à leur faim ou exprimer leur peur. L’animal est à présent considéré non plus comme un simple objet, mais comme un être sensible, c’est-à-dire un statut intermédiaire entre l’objet inanimé et l’être humain. Sa capacité à souffrir est reconnue légalement et, en élevage industriel, les pratiques qui porteraient atteinte au bien-être des animaux (surexploitation, risques d’épidémies, etc.) sont condamnables.

Aujourd’hui, le bien-être de l’animal de compagnie est au cœur d’un grand immense marché. Aux États-Unis, Petsmart exploite le filon depuis 1986. D’abord spécialisée dans la vente de matériel pour animaux domestiques, la société a progressivement étendu ses activités au toilettage et au dressage. Voici quelques années, Petsmart est allé un peu plus loin en inaugurant, dans une banlieue résidentielle de Washington, le premier hôtel pour animaux de compagnie. Depuis, le marché autour des compagnons à quatre pattes — majoritairement aux États-Unis — est entré dans une formidable phase de croissance. Traiter les animaux comme des êtres humains est devenu un redoutable argument de marketing. Les boissons, glaces, vêtements, poussettes, chaînes de télévision et autres cimetières pour animaux ont fait florès ces dernières années. Même une bière (sans alcool), la Kwispelbier, a été imaginée par les propriétaires d’une animalerie aux Pays-Bas. Aromatisée à la viande, elle promet de faire « frétiller la queue » du toutou aux « grandes occasions »… Bien que ces produits restent très marginaux, ils séduisent certains maîtres, qui ne reculeraient devant rien pour ce qu’ils considèrent comme le bien-être de leur bête.

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Défllé de mode canine à l'Hôtel de luxe pour chiens Balto, au Québec (www.hotelbalto.com)

Une enquête du CRIOC en 20101 montre que 58 % des interviewés surprennent leur animal avec des cadeaux ou des joujoux. Un peu plus d’une personne sur trois laisse son chien ou son chat dormir avec lui, dans son propre lit, tandis qu’une personne sur cinq cuisine parfois pour la bête. Plus étonnant encore, 10 % des propriétaires avouent téléphoner à l’animal de compagnie.

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Ces produits et ces comportements ne font-ils pas, en définitive, uniquement le bonheur des propriétaires ? Les chiens et les chats restent des animaux et l’on peut difficilement imaginer qu’un collier hors de prix ou une Kwispelbier leur permettrait d’être plus heureux. « Certains savent surfer sur la vague et tirer les avantages d’une mode, d’une tendance, constate Christian Hanzen, professeur au département clinique des animaux de production. Où va-t-on s’arrêter lorsque l’on sait que tout le monde ne mange pas à sa faim et que tout le monde n’a pas le droit à une éducation de qualité ? »

© Fotolia - Michael Pettigrew 

Ces phénomènes appellent de toute évidence plusieurs questions éthiques autour desquelles le débat doit être posé. Marc Balligand, professeur au département clinique des animaux de compagnie et des équidés, estime quant à lui que tout ce qui procure du travail à l’humain mérite attention. « Nous sommes dans une société de libre entreprise où, pour bien vivre, il est important de travailler. Ça favorise le genre humain. Si l’on crée des cimetières pour chiens, il faut des gens pour s’en occuper. De ce côté-là, on ne peut que se réjouir de ce que le niveau et la diversité des activités de nos semblables augmente ».




1 http://www.oivo-crioc.org/files/fr/4926fr.pdf

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