Culture, le magazine culturel en ligne de l'Universit� de Li�ge


Tolérance zéro pour les mutilations génitales féminines

02 February 2011
Tolérance zéro pour les mutilations génitales féminines

En dépit de ma colère pour ce que l'on m'a fait subir,
je ne condamne pas mes parents. J'aime ma mère et mon père
1.

Le 6 février, c'est la journée internationale contre les Mutilations Génitales Féminines, appelées couramment MGF. C'est tout nouveau, depuis février 2006. Les MGF sont loin d'être des pratiques nouvelles et les autorités mondiales n'en ont pas pris connaissance ou conscience récemment.  Simplement, certaines personnes ont décidé de faire re-connaître ces pratiques, simultanément pour les dénoncer et les éradiquer. L'OMS estime à plus ou moins 130 millions le nombre de filles et de femmes ayant subi des mutilations sexuelles. On estime que chaque année, 3 millions de filles supplémentaires sont susceptibles d'être mutilées. Malgré les prises de position contre les MGF que prennent de nombreux pays, pratiquants d'origine ou non.

Le 6 février est devenu le jour de la « Journée internationale de tolérance zéro pour les mutilations génitales féminines ». Un jour particulier en plus, mis en évidence dans l'année, au milieu des saints chrétiens (6 février : saint-Gaston), des fêtes païennes (Halloween le 31 octobre) ou religieuses (le 1er novembre), des fêtes nationales (21 juillet) et historiques (le 11 novembre), et d'autres journées particulières comme celle des femmes (le 8 mars), celle de la lutte contre le sida (le 1er décembre) ou encore celle des droits de l'Homme (le 10 décembre), le 6 février est devenu le représentant symbolique d'une réalité lourde, et anormée2, à la fois parce qu'elle ne relève pas de nos cultures nord-occidentales, elle ne fait partie ni de notre histoire3, ni de notre mémoire collective, mais aussi parce qu'elle fait allusion à des pratiques au premier abord répréhensibles dans moult sociétés, notamment en Belgique : atteinte à la dignité humaine, atteinte à la santé, atteinte à l'enfant, violences, droits garantis par la Constitution4, droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales5, entre autres. Les termes de « journée internationale » impliquent que ces pratiques et des engagements contraires sont partagés et communs à plusieurs groupes humains dans le monde, qu'ils soient victimes, initiés6, militants ou actifs. Les plaintes nombreuses concernant des MGF montrent que ces dernières sont bien internationales, originaires de diverses cultures, répandues sur plusieurs continents, pratiquées dans de nombreux pays.

En instaurant la tolérance zéro – manière plus positive de dire l'intolérance – des militants espèrent que ces pratiques vont être refusées, inacceptées, et suspendues, au moins ce jour-là. En cessant de les accomplir ou parce que les anti-MGF surveillent, voire appréhendent, celui/ceux qui les pratiquent : repérés, dénoncés, ils sont de plus en plus souvent condamnés.

Les pays africains légifèrent depuis 50 ans 

Depuis plus de 50 ans, certains pays réfléchissent à ces pratiques et mettent peu à peu en place des lois qui les interdisent. Les premiers à bouger ont été des pays africains dans lesquels ces MGF ont cours. L'un des tout premiers est le Soudan ; une loi contre les MGF a été promulguée en 1946 sous le condominium anglo-égyptien (1899-1956), loi qui ne sert plus à rien depuis l'indépendance du pays. La Guinée a promulgué en 1965 déjà une loi qui a été révisée il y a quelques années, en 2001. La République centrafricaine a promulgué une loi contre les MGF en 1966 ; et en 1996, le président émit une ordonnance interdisant les MGF sur tout le territoire. C'est en 1978 déjà qu'une loi contre les MGF a été promulguée en Somalie, mais une fois le pays divisé (le Somaliland et le Puntland), elle a été oubliée. Dès 1989, le chef du gouvernement7 ghanéen s'est prononcé contre les MGF ; la loi est promulguée en 1994. À Djibouti, la révision du code pénal interdit les MGF en 19948. Le Burkina Faso possédait un décret présidentiel établissant un Comité national contre l'excision, en 1996, il sort une loi contre les MGF. La Côte d'Ivoire promulgue une loi en 1998 ; en Tanzanie, c'est la loi sur les crimes sexuels qui interdit les MGF en 1998. C'est en 1998 également que le Togo vote une loi qui interdit les MGF. Le Sénégal a promulgué une loi en 1999. En Belgique par exemple, la loi du 28 novembre 2000 relative à la protection pénale des mineurs9 possède un article spécifique aux MGF10. Le Kenya promulgue une loi spécifique contre les MGF en 2001 ; au Bénin une loi sort en 2003. En Guinée-Bissau, la première proposition de loi de 1995 interdisant les MGF n'a pas été acceptée, 8 ans plus tard, la suivante passe, en 2003. Le Niger promulgue aussi  une loi en 2003. Le Tchad également. L'Éthiopie suit en 2004. L'Afrique du Sud vote une loi en 2005 ; l'Érythrée en 2007. L'Égypte qui, aussi loin que les recherches l'ont permis jusqu'à présent, serait reconnue comme le berceau des excisions les plus lourdes que sont les infibulations, appelées pour cette raison excisions ou circoncisions pharaoniques, affiche une position un peu particulière : elle promulgue une loi en 2008 mais auparavant la Cour de cassation égyptienne avait rendu, en juin 1997, un arrêt en faveur d'une interdiction gouvernementale des MGF et un décret ministériel promulgué en juillet interdit ces pratiques notamment dans les structures de santé publiques et privées, hôpitaux, cliniques... suite au décès d'une jeune fille après son excision ; en effet dans ce pays la majorité des excisions étaient/sont pratiquées par des médecins. L'Ouganda a voté une loi interdisant les MGF en 200911. Depuis il y en a d'autres.

Ceci nous montre à quel point les autorités ont pris des dispositions pour éradiquer les MGF, mais surtout que des pays africains sont des pionniers engagés dans ces réflexions depuis plus d'un demi-siècle, cherchant à résoudre ce problème socioculturel pesant,  bien avant que l'Europe ne le saisisse et n'intervienne comme aujourd'hui. Contrairement à ce que laisserait penser l'agitation actuelle en Europe, au Canada, aux États-Unis, les premières accusations et actions remontent déjà à un demi-siècle : dès les années 50, des femmes africaines dénonçaient les mutilations et s'organisaient en groupes de concertation, en comités, associations, etc.

Outre les lois nationales, plusieurs traités internationaux renforcent l'interdiction des MGF, tels la convention sur les droits de l'enfant (CDE), la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes (CEDEF), la charte africaine sur les droits et le bien-être de l'enfant, la charte africaine sur les droits humains et ceux des populations et le protocole additionnel sur les droits des femmes dit protocole de Maputo.

 



 

 

1 Dirie Waris, Miller Cathleen, Fleur du désert, Paris, Albin Michel, 1998 (éd. J'ai lu, p. 279)
2 Du moins pour les sociétés nord-occidentales
3 Notre culture reprend la culture nord-occidentale, européenne, belge dont notre université fait partie 
4 Art. 22bis. Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle (2000) ; Art. 23. Chacun a le droit à mener une vie conforme à la dignité humaine
5 Rome, le 4 novembre 1950 : Art. 2. Droit à la vie ; Art. 3. Interdiction de la torture ; Art. 5. Droit à la liberté et à la sûreté
6 Selon l'utilisation goffmanienne, voir Stigmate, des usages des handicaps, E. Goffman, Paris, les Éditions de Minuit, 1975
7 le président Rawlings
8 Entrée en vigueur en 1995
9  Entrée en vigueur le 1er avril 2001
10 Article 409 du Code Pénal : § 1er. Quiconque aura pratiqué, facilité ou favorisé toute forme de mutilation des organes génitaux d'une personne de sexe féminin, avec ou sans consentement de cette dernière, sera puni d'un emprisonnement de trois ans à cinq ans. La tentative sera punie d'un emprisonnement de huit jours à un an ; § 2. Si la mutilation est pratiquée sur une personne mineure ou dans un but de lucre, la peine sera la réclusion de cinq ans à sept ans ; § 3. Lorsque la mutilation a causé une maladie paraissant incurable ou une incapacité permanente de travail personnel, la peine sera la réclusion de cinq ans à dix ans ; § 4. Lorsque la mutilation faite sans intention de donner la mort l'aura pourtant causée, la peine sera la réclusion de dix ans à quinze ans ; § 5. Si la mutilation visée au § 1er a été pratiquée sur un mineur ou une personne qui, en raison de son état physique ou mental, n'était pas à même de pourvoir à son entretien, par ses père, mère ou autres ascendants, toute autre personne ayant autorité sur le mineur ou l'incapable ou en ayant la garde, ou toute personne qui cohabite occasionnellement ou habituellement avec la victime, le minimum des peines portées aux §§ 1er à 4 sera doublé s'il s'agit d'un emprisonnement, et augmenté de deux ans s'il s'agit de réclusion.
11 Les renseignements viennent de multiples sources, bouquins, consulats, ambassades, rapports du GAMS, OMSS, rapports suisses, etc.


� Universit� de Li�ge - https://culture.uliege.be - 28 March 2024