Et pourtant, cette œuvre, pour laquelle de nombreux critiques ont recours à un registre sémantique puisant largement dans les valeurs où la chaleur supposée de l'émotion l'emporte sur la froideur convenue de la raison, cet ensemble de tableaux, de lignes et de couleurs en fractures assemblées depuis près de trente ans, cette œuvre a peut-être peu à voir avec les tourments de l'âme, l'expressivité des couleurs et des zébrures, la violence des aplats. Peut-être s'agit-il simplement d'une espèce de constat.
Là se trouve sans doute l'originalité de l'œuvre de Salazar : l'artiste construit patiemment depuis trois décennies un simple imagier, dont il a créé la clé et les codes, et dont il décline et conjugue à l'infini les variantes. La force et la puissance de persuasion et de séduction de cette série d'images tiennent assurément à leur cohérence, qui évoquent confusément pour celui qui les contemple la complexité des mécanismes qui sous-tendent le réel et son déroulement quotidien. Organique, tellurique, Carte du Tendre,... les espaces colorés de Salazar ouvrent sur une infinité de Mondes.
Filons la métaphore sismique : la peinture de Luis Salazar est la transcription d'une espèce de tectonique des plaques, le constat calme de l'importance et de la puissance des forces incommensurables qui se mesurent l'une à l'autre, de subductions lentes et inexorables, de métamorphismes poétiques.
N'étant le géographe de rien, Luis Salazar est simplement depuis trente ans un peintre : l'œuvre que l'étudiant Salazar avait créée en 1982 sur les murs du restaurant universitaire disparaît partiellement en 1996, conséquence d'un fâcheux incident. Le recteur Arthur Bodson invite alors l'artiste à réinvestir le lieu : à l'opposé du mur initialement peint, comme une réponse à l'œuvre disparue, « pour ne pas laisser la plaie béante », l'artiste développe une nouvelle composition, qui fait beaucoup plus que réparer les dégâts. La comparaison entre les éléments subsistants du travail réalisé au début des années 80 et l'œuvre nouvelle offre, si l'on trouve l'angle de vue où se superposent partiellement les deux interventions, un raccourci superbe sur l'évolution du langage plastique de Salazar. La structure de la composition, en larges aplats de couleurs primaires en 1982, s'est densifiée et la gamme chromatique élargie, un peu comme si « l'échelle » adoptée par l'artiste était passée du 1/250e au 1/25000e, ... Luis Salazar est un peintre.
Jean Housen
Janvier 2011
Jean Housen est historien de l'art. Il est conservateur du Musée en Plein Air de l'Université de Liège au Sart-Tilman et collaborateur d'Art&fact.
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