Histoires de recettes...liégeoises - Hachis et revêtus

Le sixième volet de notre parcours culinaire au sein de l'Ouverture de cuisine (1604) de Lancelot de Casteau, maître queux des princes évêques de Liège, nous ramène auprès des viandes, et plus particulièrement des viandes hachées. Ce mode de préparation connaît un immense succès à la Renaissance, au point de déstabiliser les partisans d'une cuisine plus rustique et proche de la forme originelle de l'animal consommé.

Hachis et revêtus

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Pieter Aertsen, Boucherie, 1551. University of Uppsala

Dans les articles précédents, nous avons remarqué que la cuisine de Lancelot est une cuisine très aromatisée – soit au sucre, à la cannelle et à la noix de muscade, soit aux herbes – qu'elle est dominée par le beurre et qu'elle recourt abondamment à l'œuf. On peut également prétendre que la cuisine de Lancelot est une cuisine de viande hachée, et plus particulièrement de veau haché.

Le veau, en effet, est la première viande de l'Ouverture de cuisine. Elle est considérée comme la plus diététique et connaît une vogue sans précédent en Italie depuis le 13e siècle. La moitié des recettes de viande contient du veau et la moitié des recettes de veau passe la viande – ou le foie – au hachoir. C'est ainsi que les tourtes, les pâtés, les farces, les raviolis, les pains de viande, les boulettes, les saucisses et les quenelles se disputent les faveurs de la gastronomie de la Renaissance, au grand désespoir des partisans de la vieille cuisine aristocratique. Ces derniers sont quelque peu désappointés devant des mets indéfinissables, composés de mélanges de viandes hachées copieusement épicées. La cuisine ancienne, il est vrai, est moins sujette aux « déguisements » dont les viandes et les poissons sont de plus en plus affublés au 16e siècle. Car les poissons, eux aussi, sont copieusement hachés et mélangés entre eux.

Le veau n'est pas la seule viande hachée de l'Ouverture de cuisine. La volaille et le mouton le sont également, souvent mélangés avec le veau et l'indispensable graisse de bœuf, omniprésente dans les hachis. Visiblement, Lancelot de Casteau donne sa nette préférence à la graisse de bœuf par rapport au lard qui n'intervient jamais.

Chapon revêtu

La cuisine du 16e siècle aime les farces. Lancelot farcit des volailles, des choux, des carottes ou des panais, du gigot, de l'épaule ou du foie de veau, etc. Il y a cependant une recette qui attire particulièrement notre attention, celle du chapon revêtu, que nous avons réalisée avec un poulet. Cette recette se situe dans la tradition des « revêtus ». Au Moyen Âge, cela consiste à revêtir un oiseau rôti de son plumage d'origine. À la Renaissance, le terme évolue. Ici, « revêtir » la volaille consiste à lever sa chair et à la hacher avec du veau et de l'œuf afin de reconstituer la volaille. Dans l'Ouverture de cuisine, le terme « revêtu » revient souvent et peut prendre un sens beaucoup plus large, ne désignant plus que de la chair hachée, sans qu'elle ne soit façonnée en forme d'animal.

Cette recette nous rappelle le rôle ludique de la gastronomie ancienne, comme nous nous en étions déjà rendu compte avec les œufs farcis.

Chapon revestu

Prennez un chappon qui soint bien deplumé, puis ouvrez le chappon par derriere, & levez lapeau ius, & couppez les aisles par derriere ius avec la peau, puis vous prendrez la chair du chappon, toute la poictrine avec les cuisses, & laissez les jambes entieres : puis prennez la chair de chappon & autant de chair de veau, & haschez ensemble avec un peu de graisse de bœuf & mettez dedans noix muscade gingembre, marjolaine haschee, un peu de sel, quatre jaulnes d'œuf, & meslez bien tout ensemble : puis remettez la chair sur les osseaux du chappon, & tirez la peau dessus, & la liés avec du filet, & mettés le boullir en un pot : estant cuit prennés deux tranches de pain trempé en bouillon chaud, quatre jaunes d'œuf, & passés tout par l'estamine avec un peu de vin blanc, apres jettés dedans le bouillon du chappon, & le laissés encor un peu boullir, & servés ainsi1.

Ingrédients pour 1 poulet de 1 kg

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Pour la base :

1 poulet, 280 g de veau haché2, 20 g de graisse de bœuf, noix de muscade, gingembre, marjolaine, sel

Pour la sauce :

4 jaunes d'œuf., 1 tranche de pain, 5 cl de vin blanc

Lever la peau

  • Gardez l'élastique qui sert à brider le poulet. Vous en aurez besoin par la suite.
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  • Sur l'arrière du poulet, soulevez la peau avec la membrane qui la sépare de la chair.
  • Sectionnez la peau au niveau de la base du pilon et tirez délicatement vers l'avant du poulet en vous aidant d'un couteau pour couper la membrane.
  • Lancelot nous dit de couper les ailes. Nous ne l'avons pas fait.

Lever les filets

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  • Avec votre chef, tranchez légèrement entre les deux filets.
  • Levez les filets en tournant toujours la lame du couteau légèrement vers le cartilage.
  • Faites de même pour les cuisses. Laissez les pilons intacts.

Préparer le hachis

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  • Pesez la chair de poulet et prenez le même poids en veau haché.
  • Hachez finement la graisse de bœuf et la marjolaine.
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  • Mélangez bien à la main le poulet avec le veau haché, la graisse de bœuf, la noix de muscade, le gingembre, la marjolaine, le sel et 2 jaunes d'œufs.

Reconstituer le poulet

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  • Reconstituez le poulet avec le hachis, sans oublier les cuisses. Avec le reste de hachis, vous pouvez préparer des boulettes. Lancelot de Casteau lui-même en confectionnait !
  • Recouvrez avec la peau et bridez le poulet.

Cuire le poulet

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  • Faites bouillir un fond d'eau dans une casserole.
  • Plongez-y le poulet et laissez cuire 20 minutes à petit bouillon.

Confectionner la sauce

  • Quand le poulet est cuit, prélevez du bouillon et trempez-y la tranche de pain. Mélangez avec deux jaunes d'œufs et passez le tout à l'étamine.
  • Incorporez le liant dans le bouillon et laissez encore un petit peu sur le feu.

Dresser

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  • Dressez le poulet dans un plat avec la sauce.
  • Servez à table et coupez des tranches de viande hachées.


 
1 Lancelot de Casteau, Ouverture de cuisine, Liège, 1604, p. 99, 100.
2 Le même poids en veau haché qu'en chair de poulet. Comptez plus ou moins 220 g de filet et 60 g de cuisses pour un poulet d'1 kg, soit 280 g
 

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