L'humain révélé à travers ses pratiques alimentaires

Le rapport de l'homme à l'animal est extrêmement complexe et toujours fortement dépendant de la culture du groupe et du statut social de l'individu. Ainsi, l'observation des pratiques alimentaires de différents peuples ou individus fournit énormément d'informations sur la manière dont les hommes s'organisent entre eux et avec les animaux, mais oblige aussi à envisager l'homme dans son histoire, sa culture, son mode de vie, sa religion, son économie, son état sanitaire, etc.      

Analyser les relations qui lient l'homme et les animaux est un exercice arbitraire et difficile. Arbitraire d'abord en raison de la définition même de l'animalité et de l'humanité. La frontière qui les sépare n'a cessé de reculer ces dernières années. On observe de stupéfiantes capacités de raisonnement non seulement chez les primates mais également parmi d'autres espèces de mammifères et également d'oiseaux, tels que les corvidés. L'incroyable niveau d'organisation des insectes sociaux est un autre exemple. Qui plus est, nous partageons de nombreux gènes hérités d'ancêtres communs, non seulement avec les primates, mais avec tous les êtres vivants sans exception, bactéries comprises. Le qualificatif « humain » est lui-même ambigu, le genre « Homo » regroupant un grand nombre d'espèces, actuellement éteintes, non interfécondes avec Homo sapiens, mais ayant partagé avec nous les caractéristiques attribuées à l'humanité – le raisonnement, l'empathie, la conscience, l'angoisse existentielle. Où situer la relation que l'homme moderne a pu avoir avec l'homme de Néanderthal ? À l'extrême, et à moins de réfuter – par manque d'information ou d'intérêt, ou par mauvaise foi à défaut de conviction – le processus de sélection darwinienne, il faut accepter le fait qu'une dérive génétique se poursuit actuellement au sein de l'humanité, bien que nous ne la percevions pas de manière visuelle à notre échelle temporelle, et conduira à l'émergence de futures nouvelles espèces. À bien des égards, d'ailleurs, ne faut-il pas donner raison au vieil adage qui dit que l'Homme est un animal pour l'Homme, tant est éloquente la façon dont il se comporte avec ses semblables ? Enfin, qu'englobe le terme « animal » en question ? Celui de compagnie, d'élevage, sauvage ? Le reptile, le poisson, l'insecte ? Pourquoi pas le ver ? Et pourquoi pas le protozoaire ? Même l'individu qui se sait porteur d'un ténia entretient une relation non neutre vis-à-vis de l'hôte qu'il héberge.

L'analyse de cette relation est aussi un exercice difficile car les rapports Homme-Animal sont extrêmement variés et peuvent être vus sous d'innombrables angles, historique, géographique, socio-anthropologique, éthologique, écologique, psychologique, biologique, médical, économique, législatif... la liste n'est pas exhaustive. Il n'y a pas de solution de continuité au niveau de ces relations. Il n'est pas possible de les classifier, de les rendre « discrètes » au sens statistique du terme. Toutefois, le crible subjectif des habitudes sociales, principalement sous l'angle du « mangeur », est sans doute une façon intéressante de considérer le problème. Mais avant d'y venir, on ne peut passer sous silence les effets très concrets de la faim sur notre vision de l'animal. Cette sensation est particulièrement prégnante dans les pays pauvres où, selon les critères occidentaux, la majorité de la population devrait être considérée comme maigre à dénutrie. Les enfants en bas âge y souffrent fréquemment de Kwashiorkor, état caractéristique d'une personne en carence protéique. Dans ces régions, un morceau de viande à manger est perçu au même niveau que pour nous, un cadeau de Noël ! L'animal est donc simplement considéré comme une source de viande. Les sociétés, les individus, qui ont résolu le problème de la faim ont un rapport différent avec les animaux.

Cobayes d'élevage de chair en Afrique Enfants de la rue mangeant de la viande de cobaye2
Cobayes d'élevage de chair en Afrique - Enfants de la rue mangeant de la viande de cobaye

Nonobstant le problème de la faim, les animaux sont souvent perçus comme l'expression d'un statut social. Ainsi par leur nombre et leur « beauté » chez les populations transhumantes de l'Afrique Sahélo-soudanienne, ou par le prix consenti pour leur achat ou leur entretien – en Extrême-Orient des sommes considérables sont consacrées aux animaux de compagnie. Ils peuvent également être considérés comme membres de la famille, auxquels on attribue parfois des qualités et des droits égaux à ceux des humains. Certains qualifient cela de révoltant, d'autres de légitime. L'animal joue aussi dans le registre du sacré. Dans certaines communautés animistes, ont lieu des « nuits » du sacrifice, afin de rendre hommage aux ancêtres. Le sang de bovins, porcs, et autres espèces domestiques y coule alors à flot, heurtant violemment la sensibilité de personnes étrangères qui y assistent. L'animal y est-il perçu comme un être méritant de l'empathie, ou comme un des éléments du cycle de la vie, dont la vie terrestre n'est qu'une étape parmi d'autres ? Que dire de populations hindoues, pourtant très inégalitaires, qui vénèrent la vache.

Aux Comores, posséder un bovin témoigne d'un certain statut social
Aux Comores, posséder un bovin témoigne d'un certain statut social

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