Les animaux du ciel

Les animaux sont partout dans le ciel. Si une telle phrase fait immédiatement penser aux oiseaux, il est ici question d'une altitude plus élevée : la voûte céleste. En effet, une grande partie des constellations sont liées à des bêtes diverses. On pourrait croire que seuls les animaux les plus grands, les plus beaux, les plus majestueux sont aptes à se retrouver ainsi parés d'étoiles. Bien au contraire, tout le monde a sa place ! Ainsi, on trouve des animaux réels (chien, poissons) et des animaux fantastiques (Pégase le cheval ailé, dragon), des petits (mouche, colombe) et des grands (taureau, ourse), des nobles (lion, aigle) et des vilains (corbeau, bélier), des sympathiques (dauphin, cygne) et des antipathiques (scorpion, serpent). Difficile donc de savoir ce qui a guidé les choix de nos ancêtres !

Une constellation est un dessin imaginaire tracé sur le ciel. Souvent, les constellations regroupent des étoiles brillantes, ce qui fait que certaines se retrouvent d'une civilisation à l'autre : l'Orion grec, très reconnaissable à sa ceinture (un triplet d'étoiles) est ainsi Osiris en Egypte, Sipa-Zi An.na le pasteur fidèle du ciel ») en Mésopotamie, trois étoiles sur une tortue en Chine... : le même ensemble, car il saute aux yeux de tous, mais des interprétations différentes, car le contexte local est variable. Cependant, les étoiles moins brillantes ne bénéficient pas de ce privilège : leurs regroupements varient alors fortement d'un endroit du monde à un autre. Enfin, il faut aussi compter avec les exceptions : les Aborigènes privilégient ainsi les groupes d'étoiles faibles plutôt que les étoiles brillantes – signalant le fait que les liens du groupe sont plus importants que l'individu – ; les Incas définissent des constellations noires, associées aux zones noires de la Voie Lactée (en fait des nuages interstellaires). Ainsi, la région du « Sac à charbon » s'appelait Yutu ou Tinamou en Inca (du nom d'un oiseau de la région) –  il s'agit d'un oisillon dont la mère(un autre  nuage sombre situé non loin) veille sur lui en permanence.

Le type d'animaux représenté dans ces constellations varie d'un endroit à l'autre, en fonction de l'environnement. Un bel exemple est la constellation connue ici sous le nom de « Croix du Sud » et ses voisines brillantes, a et b du Centaure. Dans la région côtière d'Arnhem (Australie côtière), cet ensemble est représenté par une raie poursuivie par un requin ; dans le désert du centre de l'Australie, le même ensemble évoque l'empreinte d'une patte d'aigle et du bâton qu'il tenait dans ses serres. Bien sûr, on pourrait se demander qui diable a vu passer en Europe un lion, figure emblématique des nuits de printemps ! L'explication est simple : une bonne partie de « nos » constellations provient en réalité de Mésopotamie, ce qui explique la présence d'animaux plus exotiques dans des constellations généralement supposées d'origine grecque...

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Carte céleste du 17e siècle, réalisée par le cartographe hollandais Frederik de Wit

Comment le ciel s'est retrouvé truffé d'animaux ? Nul ne le sait ! Toute définition de constellation repose sur l'imaginaire... et sans traces écrites, le mystère reste entier. Difficile de reproduire le processus : ce serait comme chercher à voir le même dessin dans un nuage qu'un inconnu dont on ignore tout !

Les Navajos offrent toutefois une réponse très simple : parce que chacun s'y est représenté ! En effet, lorsque le Monde fut créé, tous les animaux se rassemblèrent autour du Grand Esprit. Ce dernier leur demanda d'aller chercher des galets dans la rivière. Une fois les galets récoltés, le Grand Esprit en prit un, le plaça dans le ciel où il se mit à briller : c'était la première étoile. Il leur expliqua que les étoiles les aideraient toujours à retrouver leur chemin, et il leur demanda de placer les autres galets dans le ciel en formant leur propre image. Cela devait être fait avant l'aube, car il n'y aurait qu'une seule nuit magique où ils pourraient librement aller et revenir dans le ciel. L'histoire continue en expliquant l'origine de la Voie Lactée – désordre stellaire, donc associée au maître du chaos, le Coyote. Ce dernier n'avait pas fini son travail que le Grand Esprit lui demanda d'aider les petits animaux : ceux-ci n'avaient pu prendre beaucoup de galets avec eux et ils auraient dû faire beaucoup de voyages entre la terre et le ciel pour créer leur constellation. Les aider prit beaucoup de temps au Coyote, et il s'énerva :  il jeta par dessus sa tête le seau avec tous les galets-étoiles. Ceux-ci vinrent se placer n'importe où dans le ciel et c'est pourquoi certaines constellations d'animaux ne sont pas complètes, et qu'il existe une bande stellaire brillante totalement désorganisée.

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Johann Bayer. Uranometria, 1603. Leaf 2 Verso, Ursa Major
© Linda Hall Library of Science, Engineering, & Technology 2005

Les constellations se présentent souvent en groupe, amis ou ennemis, et les animaux célestes ne font pas exception. Pour l'expliquer, on raconte de jolies histoires mythologiques, souvent exemplatives des règles de vie en société. Orion se trouve à l'opposé de son ennemi juré, le Scorpion, qui l'a tué ; Callisto et son fils Arcas, séparés pendant longtemps, sont rassemblés pour l'éternité sous la paire Grande Ourse-Petite Ourse ; les Mésopotamiens ont associé tout un coin du ciel à l'élément aquatique, on y trouve le Verseau, la Baleine, les Poissons, le Capricorne (Poisson-Chèvre), le Poisson Austral, la rivière Éridan... Autre exemple : le Corbeau, l'Hydre et la Coupe. Les Grecs racontent qu'Apollon avait envoyé le corbeau remplir une coupe d'eau pure pour un sacrifice à Zeus. En chemin, le gourmand volatile tombe sur un figuier dont les superbes fruits, quasi mûrs, lui font de l'œil... Il décide d'attendre quelques jours qu'ils soient « à point », et les dévore alors goulûment. Pris de remords – et surtout par peur que son retard ne déplaise aux dieux –, l'oiseau va remplir sa coupe et empoigne ensuite un serpent d'eau. Une fois arrivé auprès d'Apollon, il blâme le reptile, mais le dieu n'est pas dupe et punit le corbeau en en faisant une constellation, ajoutant du même coup ses deux acolytes, coupe et serpent d'eau, en s'arrangeant pour qu'il ne puisse jamais se désaltérer à la coupe ni totalement échapper à l'emprise du reptile.

Aujourd'hui, on ne définit plus de nouvelles constellations. La liste « définitive » des constellations, et leurs frontières exactes, ont été fixées par l'Union Astronomique Internationale en 1930. Il existe donc actuellement 88 constellations différentes ; certaines sont d'origine antique, d'autres datent des travaux de nomenclature des 17e et 18e siècles (ex. machine pneumatique, boussole). Parmi cet ensemble, la moitié (42 sur 88) est liée à des animaux, et le dixième (7 sur 88) à des animaux imaginaires1. En voici la liste complète - un astérisque indique les constellations d'origine « récente » (17e - 18e siècles), les italiques celles liées à des animaux imaginaires :

Oiseau de paradis *

Dorade *

Mouche *

Aigle

Dauphin

Paon *

Bélier

Dragon

Pégase

Girafe *

Petit Cheval

Phénix *

Cancer (crabe/écrevisse)

Grue *

Poissons

Chiens de chasse*

Hydre femelle

Poisson Austral

Grand Chien

Hydre mâle *

Scorpion

Petit Chien

Lézard *

Serpent

Capricorne

Lion

Taureau

Baleine

Petit Lion *

Toucan *

Caméléon *

Lièvre

Petite Ourse

Colombe *

Loup

Grande Ourse

Corbeau

Lynx *

Poisson Volant *

Cygne

Licorne *

Petit Renard *

(classées par ordre alphabétique de leur nom latin)

Yael Nazé
Février 2011

crayon
Yaël Nazé est Chargée de recherches FNRS au département AGO de l'ULg.  Elle est également l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique dont L'Astronomie des anciens (Belin, 2009).


 
1 Ceci sans compter la Baleine, qui est en fait au départ la constellation du « monstre ». Elle se trouve non loin d'Andromède, car il s'agit du monstre qui allait dévorer cette jeune fille, sans l'intervention de Persée.