Le poisson en adobe et autres sauces

Qu'il soit de mer ou d'eau douce, le poisson occupe une place importante dans la cuisine ancienne, vu la séparation entre les aliments gras et les aliments maigres. Parmi les mets proposés par Lancelot de Casteau, maître queux des princes-évêques de Liège, certains ont traversé les siècles et sont, aujourd'hui encore, de grands classiques régionaux.

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Vincenzo Campi, Marchande de poisson, vers 1580.

À Liège, au 16e siècle, près de la moitié de l'année est consacrée aux jours maigres, d'où l'importance du poisson et la séparation nette dans les recettes entre les aliments maigres et les aliments gras1. Si Lancelot se plie à la règle, il opère tout de même quelques mélanges des genres assez courants au 16e siècle. Par exemple, les saucisses de poisson sont confectionnées avec des boyaux de bœuf, de mouton ou de porc, et, comme nous l'avons vu dans l'article consacré au gibier, la perdrix mijote avec des huîtres.

Bien plus surprenante pour le mangeur du 21e siècle est la manière d'apprêter les poissons. En effet, les sauces qui les accompagnent ne diffèrent pas de celles des viandes, comme nous le verrons dans notre deuxième recette.

En bon cuisinier de l'aristocratie, Lancelot ne délivre que des recettes de poissons frais, qu'ils soient de mer ou d'eau douce. Le poisson roi est l'esturgeon. Il occupe la première place dans les recettes du maître queux. Vient ensuite la roussette, puis le thon, le brochet, la carpe, l'écrevisse, l'huître et la seiche. Le saumon, qui intervient pourtant huit fois dans le livre, n'a pas les honneurs d'une recette propre.

Les poissons sont préparés en potage, en pâté, en saucisse, en rôti, en friture ou en adobe. Ce dernier terme, plutôt curieux, cache une préparation que nous connaissons très bien, surtout dans la région de Chimay.

Le poisson en adobe ou escavèche

Lancelot de Casteau met l'esturgeon, le turbot, l'espadon, l'elbot, la roussette et le thon en adobe. Le procédé est systématiquement le même. Il rôtit, frit, puis immerge le poisson dans du vinaigre et du vin blanc, richement aromatisés, afin de le conserver.

Pour désigner sa recette, Lancelot utilise le terme adobe, emprunté à l'espagnol adobo, attesté dans le sens « marinade » depuis le 15e siècle. Au cours du 17e siècle, « à l'adobe » s'est transformé en « à la daube », tout en changeant de sens. Voyez, par exemple, le Cochon à la daube dans Le cuisinier françois (1651) de La Varenne. Il s'agit d'une pièce de viande simplement mijotée dans du vin, du bouillon et des aromates. Aujourd'hui, le mot daube signifie « mode de cuisson de certaines viandes mijotées à l'étouffée dans une marinade richement aromatisée ». Nous sommes très loin, avouons-le, de la recette de Lancelot. En fait, cette dernière nous est familière, non pas sous le nom de « daube », mais bien sous celui d'escavèche. Les deux mots espagnols, adobe et escabeche, ont été introduits dans les provinces « belges » au 16e siècle, alors que nous étions sous domination ibérique.


 
1Voir l'article L'alimentation et le sacré : identité religieuse et cohésion sociale.

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