La cuisine de la Renaissance porte une attention particulière à la volaille. Dans l'Ouverture de cuisine (1604) de Lancelot de Casteau, elle vient en deuxième position après les viandes de boucherie qui occupent une place hégémonique dans la gastronomie aristocratique. Au sein des volailles, c'est le chapon qui rafle la mise, devant le canard, le pigeon, la dinde et le poulet. Les animaux gras sont en effet nettement préférés aux autres. Mais n'oublions pas qu'ils sont l'apanage des classes les plus aisées de la société, les plus modestes ne pouvant s'offrir que rarement de la viande, et probablement jamais de viande grasse. En ce qui nous concerne, nous remplaçons les chapons des recettes originales par du poulet, en gardant bien à l'esprit qu'il faut corriger les proportions, un chapon n'ayant pas le poids d'un simple poulet !
Nous nous sommes aperçus, lors des trois premiers articles consacrés au maître queux Lancelot de Casteau, que la cuisine de la Renaissance fait une distinction particulière entre le sucré et le salé. Les ragoûts, pâtés et tourtes de viande ou de poisson peuvent être sucrés ou non sucrés. C'est en fonction de cette caractéristique que les épices sont choisies. Une sauce sucrée sera nécessairement à la cannelle et une sauce non sucrée n'en contiendra jamais. Ces règles culinaires créent une cuisine particulière, avec ses codes parfois rigides, bien différents des nôtres. C'est en cela que les cuisines anciennes nous surprennent souvent et nous émerveillent parfois. Les deux recettes de volaille que nous examinons cette semaine vont nous plonger dans un univers gustatif auquel nous sommes peu habitués, mais qui peut agir comme un électrochoc sur des papilles curieuses de savoureuses découvertes.
La capilotade douce
Tout un pan de l'art culinaire de Lancelot de Casteau est dominé par les saveurs douces du sucre, du beurre, de la cannelle et des fruits confits. La capilotade douce, sorte de lasagne au chapon (ou lapin) rôti ayant mijoté dans du vin avec du sucre, du beurre, de la cannelle, de la noix de muscade, des quartiers d'orange, des raisins secs et des coings confits, est très représentative de la cuisine de Lancelot. En outre, les couches de ragoût sont entrecoupées d'abaisses de pâte frites au beurre, affirmant le goût de l'auteur pour les pâtes italiennes, dont les raviolis et les macaronis qui sont visiblement à la mode à Liège au 16e siècle.
La difficulté de la recette réside dans la confection des coings confits. Néanmoins, le procédé est beaucoup plus simple que ce qu'on imagine au départ. Il demande un petit peu de patience – plusieurs jours sont nécessaires –, mais peu de travail. Nous vous en donnons la recette du 16e siècle délivrée par Nostradamus.
Pour faire Capilotade douce.
Prennez du rosty froid, chapon, counin, ou autre chose rostie grasse, coupez par piece deux ou trois doigts, & mettez boullir avec du vin, du beurre, des pommes d'orenge par petites pieces, & de poires de coing confites aussi par petites pieces, des corentines, noix muscade, & canelle, & du succre, estant bien boully ensemble vous ferez des couvertures de paste la rondeur d'un trenchoir, & fricassez dans le beurre, puis voz prendrez une des couvertes, mettez la dedans ung plat, puis vous mettrez de la chair deux ou trois pieces avec des pieces de coing & orenge : puis mettez encor une autre couverte de paste qui est fricassee, & de la chair avec le coing dessus jusqu'a quatre licts & jetter de voz bouillons dessus, & les mettés avec le plat sur le feu, faictes les boullir trois ou quatre bouillons, que le plat soit couvert, puis voz mettrez succre & canelle dessus, & servez ainsi1.
Ingrédients pour 4 personnes
La base
600 g de rôti de poulet, de chapon ou de lapin, 25 cl de vin blanc, 40 g de beurre, 20 g de sucre, 1 orange, 2 quartiers de coing confit., 30 g de raisins de Corinthe, noix de muscade, cannelle
La pâte
100 g de farine, 1 œuf, 10 g de beurre
Les coings confits (pour 1 kg)
1 kg de chair de coing, 600 g de sucre, 70 cl d'eau, cannelle et clous de girofle en poudre (facultatif)
1 Lancelot de Casteau, Ouverture de cuisine, Liège, 1604, p. 82, 83.