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Littérature pour adolescents : sélection de Daniel Delbrassine

07 December 2010
Littérature pour adolescents : sélection de Daniel Delbrassine

Daniel Delbrassine, spécialiste de littérature pour adolescents à l'ULg recommande deux ouvrages.

 

Chenxi et l'étrangère

chenxi

Sally Rippin est australienne et son récit aux accents autobiographiques (Chenxi and the Foreigner, 2008) paraît ici dans un version nouvelle, avec « l'érotisme, les jurons et en particulier les enjeux politiques » (Postface, p. 286) que l'auteur avait d'abord cru devoir censurer pour plaire aux prescripteurs. L'année 1989 n'est pas banale dans l'histoire de la Chine, puisque le massacre de la Place Tian'anmen aura lieu en juin. Mais c'est au printemps qu'Anna rejoint son père à Shanghaï, pour quelques semaines de vacances. Plutôt que d'accompagner son paternel, homme d'affaires australien habitué à retrouver son confort d'occidental, elle découvre la vie des jeunes Chinois en s'inscrivant aux cours de dessin des Beaux Arts. Son guide, Chenxi, lui permet d'entrevoir quelques traits de la culture, mais Anna multiplie les surprises et les malentendus. « Enfant, j'étais convaincue que les gens étaient partout les mêmes. (...) Je comprends aujourd'hui que j'avais tort. Chenxi et moi avons presque le même âge, nous partageons une même passion pour l'art, mais un océan nous sépare... » (p. 151).

Avec Anna, son héroïne qui découvre le « vaste monde » et perd peu à peu sa naïveté d'enfant, Sally Rippin offre aux jeunes lecteurs un voyage dans l'espace et dans le temps, à la rencontre d'une société qui résiste aux explications simples et au cœur d'un régime totalitaire où l'individu n'est rien. Histoire d'amour et récit d'exploration, Chenxi et l'étrangère est d'abord un grand roman d'apprentissage.


 

Biture express

biture

Florence Aubry est française et a déjà publié une douzaine de titres pour la jeunesse, dont deux au Rouergue : La main de l'aviateur (« doAdo Noir », 2007) et Mamie en miettes (« doAdo », 2003). Dans Biture express, elle évoque un phénomène de société préoccupant : l'alcoolisme qui touche des adolescents de plus en plus jeunes. Il ne s'agit pas d'un roman moralisateur de commande sur un sujet d'actualité « vendeur ». Florence Aubry donne ici un récit d'une lucidité cruelle sur une addiction ravageuse mais socialement tolérée. Son récit va au-delà des rapports excessifs entretenus par une adolescente avec la « dive bouteille », pour questionner aussi le comportement des adultes, dont les rites festifs font écho aux beuveries de l'héroïne.

En suivant le point de vue alterné des deux sœurs, nous avons droit à deux récits en contrepoint des mêmes vacances au camping. Sarah boit et Gaby se contente d'observer. De l'intérieur comme de l'extérieur, nous prenons connaissance des effets de l'alcool, avec des descriptions d'un réalisme aigu : ainsi l'incipit, témoignage en direct d'un lendemain difficile, où Sarah ne se souvient plus de rien...

Plusieurs éléments du récit concourent à susciter une attitude de lecture distanciée, comme le caractère polyphonique, dûment signalé en début de chapitre. Le regard de sa sœur Gaby, dégoûtée et inquiète, l'histoire de Lucas, le copain qui ne boit pas (et on saura pourquoi), remettent en question le comportement de Sarah. De la même manière, les soûleries des parents, vues d'un œil extérieur et critique comme l'équivalent ritualisé des « bitures express » des ados, ne peuvent trouver grâce aux yeux du lecteur attentif. Le comble, c'est lorsque Sarah elle-même dénonce l'usage psychotrope des solvants par certains jeunes, en usant de termes qui pourraient aussi bien s'appliquer à sa propre assuétude envers l'alcool. Le jeune lecteur ne manquera pas d'y voir une contradiction qui la disqualifie à ses yeux.

Ainsi donc, l'auteur protège son lecteur de toute identification malsaine, mais délivre, sans lourdeur moralisatrice, une « leçon invisible », selon une procédure typique du roman d'initiation, qui confronte son lecteur au danger, sans l'exposer aux risques. Florence Aubry fait montre d'une très bonne connaissance des comportements adolescents, y compris dans le langage de ses personnages : l'enseignante en collège connaît bien son public...On pourra vérifier ces qualités dans d'autres titres parus chez Mijade, comme Daddy road killer (2008), où le héros porte le poids d'un père chauffard meurtrier.

daddy  mamie   aviateur

 

Propos recueillis par Vincianne D'Anna
Décembre 2010
 
 
 

 


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