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35 000 ouvrages de littérature de jeunesse

06 December 2010
35 000 ouvrages de littérature de jeunesse

Depuis septembre 2010, la Ville de Liège s'est dotée d'un outil unique en son genre : un fonds de plus de 35 000 ouvrages portant sur la littérature de jeunesse. Cette collection impressionnante est le fruit d'une passion, celle de Michel Defourny, spécialiste de cette littérature, maître de conférence à l'ULg puis chargé de mission auprès de la direction du Service général des Lettres et du Livre.

Ce « fonds Michel Defourny » n'est que la partie émergée de l'iceberg qui se met en place autour de la littérature de jeunesse à Liège. En effet, depuis plusieurs années, Michel Defourny et Chantal Cession, co-fondatrice de la librairie « La Parenthèse », avaient pour projet de créer une ASBL qui pourrait promouvoir cette littérature. « Quand j'enseignais la littérature de jeunesse à l'Université de Liège, je rencontrais régulièrement des étudiants qui envisageaient de faire un mémoire sur le sujet. Malheureusement, ces étudiants passaient souvent plus de temps à recueillir la documentation (que ce soit la documentation théorique ou les livres pour enfants) qu'à l'exploiter. Je me suis donc dit : j'ai environ 35 000 livres sur le sujet et cette collection pourrait constituer un fonds utile à la collectivité : les étudiants, les enseignants, les bibliothécaires, les conteurs, les parents. Alors, pourquoi ne la mettrais-je pas à leur disposition ? ».

Ces deux passionnés ont donc joint leurs forces et deux ans après la création de l'ASBL « Les Ateliers du texte et de l'image », la Ville de Liège a accueilli dans sa salle Ulysse Capitaine, le Centre de documentation de la littérature de jeunesse. « La bibliothèque Ulysse Capitaine est le lieu des fonds patrimoniaux liégeois. C'est une des raisons pour lesquelles Jean-Pierre Hupkens, échevin de la culture, nous a fait cette proposition. Et, pour la première fois, des fonds précieux s'ouvrent à la littérature de jeunesse, ce qui est une preuve indéniable que cette littérature, souvent considérée par les adultes avec dédain commence à être reconnue en Belgique. Et pour la Ville, lorsque la totalité de la collection sera directement accessible aux visiteurs, ce sera une carte de visite appréciable. » En effet, pour le moment, seuls quelque 3500 livres sont en salle, les 90% restants sont également consultables, ils se trouvent cependant encore « en réserve » chez leur propriétaire.

Le Centre de littérature de jeunesse de la Ville de Liège

Le centre se divise en deux parties : l'ensemble des livres destinés aux jeunes d'une part, et les ouvrages théoriques d'autre part. Ces ouvrages théoriques sont d'ailleurs souvent le fruit de recherches universitaires puisque de plus en plus d'universités françaises (depuis quelques années) mais surtout anglaises, américaines et allemandes ont fait de la littérature de jeunesse un sujet de recherche à part entière. Nous retrouvons donc des ouvrages théoriques qui traitent de l'illustration, des romans pour adolescents ou encore de l'histoire de la littérature de jeunesse en général.

«  Ce centre a pour vocation première d'assurer une présence de la littérature de jeunesse à Liège », nous explique Daniel Delbrassine, membre de l'ASBL et détenteur d'une thèse de doctorat défendue à l'ULg sur les romans pour adolescents. « Liège est une ville au statut très particulier en termes de population estudiantine. Il faut savoir qu'à Liège, nous formons chaque année une grande quantité de futurs professeurs, qu'ils soient instituteurs maternels ou primaires ou encore professeurs dans le secondaire inférieur ou supérieur. C'est une population que l'on est supposé intéresser mais aussi et surtout former à la littérature de jeunesse. Dans un premier temps, le centre veut donc être un appui logistique et scientifique à tous les efforts de formation qui existent ; et dans un second temps, le centre proposera des formations spécifiques destinées à ces futurs professionnels de la littérature de jeunesse. »

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L'autre vocation d'un tel centre est de constituer un lieu de promotion de la littérature de jeunesse dans son ensemble et sur le plan international. « On retrouve dans mon fonds un grand nombre de livres en langue originale, ils viennent souvent du Brésil, de l'Inde, du Japon, ou plus près de chez nous, de l'Allemagne, de l'Italie ou de l'Angleterre. Il y a donc une volonté d'ouverture internationale à une littérature qui ne connaît que très peu de frontières mais également, une volonté de faire la promotion des auteurs et illustrateurs de la Communauté française de Belgique » nous confie Michel Defourny.  Ca n'a pas toujours été le cas mais, depuis quelques années, la littérature de jeunesse de langue française connaît chez nous son apogée. Un des indices de cette évolution est que le « Prix Astrid Lindgren », le prix le plus important de littérature de jeunesse et qui se classe, d'un point de vue financier, juste après le Nobel de littérature (il vaut environ 550 000 euros) vient d'être décerné à Kitty Crowther, illustratrice et auteure belge.

« C'est un prix au rayonnement mondial. Une telle reconnaissance est évidemment très importante pour nous aussi puisqu'actuellement, cette auteure-illustratrice attire indéniablement l'attention sur la production de la Communauté française. » 

Les activités de l'ASBL « les Ateliers du Texte et de l'Image »

En plus de la gestion du « Fonds Michel Defourny », l'ASBL gère plusieurs projets et répond à un certain nombre de commandes. C'est Chantal Cession, co-fondatrice de la librairie pour jeunes La Parenthèse, qui incarne l'âme de ce fonds. Elle nous explique les différents projets de l'ABSL : « Nous voudrions créer des rencontres avec des auteurs, des illustrateurs ou des éditeurs. Nous avons également le projet de créer des formations en littérature de jeunesse et un certain nombre de passerelles vers d'autres associations. Actuellement, j'ai une mission aux Chiroux pour l'agence régionale pour laquelle je dois développer des actions lecture-écriture pour le jeune public.

D'autre part, nous recevons également un certain nombre de commandes d'activités. Par exemple, lors de la remise du prix triennal de littérature de jeunesse, qui a été attribué pour la deuxième fois à l'auteur-illustrateur Rascal, le service des Lettres et du Livre a commandé à l'ASBL une exposition que nous avons conçue avec Michel Defourny et Rascal lui-même. Celle-ci a été présentée l'année dernière à la Foire du livre de Bruxelles et elle circule actuellement dans les bibliothèques et les centres culturels. Mais ce n'est qu'un type de demande parmi d'autres. Nous avons reçu dernièrement la visite d'une liseuse, Nathalie Delvaux, qui crée des spectacles dans lesquels elle alterne lecture et théâtre. Elle cherchait des idées sur un thème bien précis et je l'ai aidée à sélectionner des ouvrages qui pouvaient lui convenir.  Enfin, nous avons également de plus en plus de demandes de la part des sections pédagogiques des Hautes Écoles, ainsi que des écoles d'art, illustration et communication graphique. Leurs demandes portent dans un premier temps sur des présentations destinées aux étudiants du centre, afin qu'ils aient une idée de ce qui est mis à leur disposition et, dans un second temps, sur des formations portant sur des sujets plus précis. Nous allons prochainement organiser une rencontre autour du livre documentaire pour la jeunesse ouverte à des bacheliers inscrits à la passerelle entre le maternelle et le primaire. »

La littérature de jeunesse, rapide état des lieux

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Alors que l'on assiste ces dernières années à un certain engouement pour l'étude de la littérature de jeunesse, on ne peut s'empêcher de se demander quelles en sont les raisons. C'est une des questions que nous avons posées à Daniel Delbrassine. « Il faut tout d'abord parler d'un retard. En Suède, dans les pays anglo-saxons, en Allemagne, ce sont les générations précédentes qui ont mis en place ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui. Les pays latins sont en train d'opérer un réel mouvement de rattrapage dans le domaine. En Suède par exemple, la formation en littérature de jeunesse avait été intégrée aux programmes universitaires bien avant que l'on envisage la chose chez nous. Je suis actuellement en train de lire un mémoire de maîtrise réalisé à Rennes 2, il y a déjà quelques années. Une étudiante française suédophone avait travaillé sur les différentes versions de Fifi Brindacier en français. Ces soi-disant traductions de l'œuvre d'Astrid Lindgren se sont révélées être de véritables massacres de l'œuvre originale. Pendant plus de 50 ans, les traducteurs de l'œuvre ont en réalité adapté les textes, que ce soit d'un point de vue linguistique ou en ce qui concerne les contenus, pour qu'ils soient recevables par les adultes français de leur temps. On constate aujourd'hui que le décalage est monumental, à un point tel que lorsque l'auteure a appris comment ses livres avaient été traduits, elle a menacé Gallimard de lui retirer ses droits si la maison d'édition n'acceptait pas de rééditer une version fidèle au texte original. En fait, nous ne disposons d'une vraie traduction de Fifi Brindacier que depuis une quinzaine d'années. C'est le genre d'anecdote qui nous  donne une idée assez précise du type de décalage qu'il peut exister entre notre vision de la littérature de jeunesse et ce qui se fait dans d'autres pays. 

En quelques mots, on pourrait dire que chez nous, les choses ont commencé à se mettre en place dans les années 1970-1980 lorsque des gens, tels que Michel Defourny, convaincus que la littérature de jeunesse présentait un réel intérêt du fait de sa richesse et sa grande qualité littéraire, ont commencé à l'étudier. Dans les années 1990, on a assisté à un retour des séries comme les Chair de Poule, puis à la parution du cycle d'Harry Potter. Ce cycle a constitué un réel boum dans le monde de l'édition. Les grosses maisons d'édition ont compris à ce moment-là qu'il était possible de gagner beaucoup d'argent avec la littérature de jeunesse. C'est ainsi que le marché est arrivé à maturité et on a constaté, de manière de plus en plus marquée, la présence de deux pôles : un pôle de création savante et un pôle plus commercial, produits chacun par un type de maison d'édition spécialisée. »

Mais les choses sont en train d'évoluer et la Communauté française est en mouvement. Au deuxième quadrimestre sera organisé à l'ULg un cours spécialement dédié à la littérature de jeunesse. Daniel Delbrassine, qui en est le titulaire, le veut ouvert à de nombreuses sections dont les langues et littératures germaniques, les historiens de l'art ou encore les langues et littératures modernes : « C'est un cours proposé en 3e bac romanes, mais c'est une matière qui concerne un public bien plus large. J'ai choisi de diviser le cours en trois parties : je vais parler du conte, ensuite du roman pour adolescents et enfin de l'album. Et ce sont trois genres que l'on peut analyser sous différents angles. On peut, par exemple, travailler sur des comparaisons de versions actuelles et des versions plus anciennes de certains contes. On peut analyser l'aspect graphique des illustrations de ces mêmes contes à travers le temps et à travers les différents courants artistiques qui ont jalonné les différentes époques. Au niveau de l'album, il est très intéressant de travailler sur la sémiotique et si l'on aborde les romans, on peut, entre mille autres choses à faire, travailler sur la narratologie. Ajoutons également qu'un travail au niveau éditorial peut être réalisé exactement de la même manière qu'on l'entreprend avec l'édition générale contemporaine ».

Le projet pourra-t-il être mené à bien dans sa totalité, même s'il répond à une demande objective de la population ? C'est l'une des questions que se pose Michel Defourny. Même si le projet a reçu le soutien de nombreux acteurs de la vie culturelle liégeoise comme le plasticien de renommée internationale Patrick Corillon, de la professeur Dominique Lafontaine bien connue pour ses travaux en pédagogie de la lecture, du plasticien et professeur à l'Académie des Beaux-Arts Paul Mahoux, du professeur Jean-Louis Dumortier, en charge de l'agrégation des futurs professeurs de français, de nombreux illustrateurs de la région, même s'il a reçu le soutien de partenaires internationaux comme la Bibliothèque nationale de France, le financement actuel du Centre est dérisoire. Appel est lancé aux mécènes privés qui pourraient soutenir l'initiative.  

Vinciane D'Anna
Décembre 2010

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Vinciane D'Anna est journaliste indépendante

 

 

À lire :

        Littérature de jeunesse : sélection de Michel Defourny

        Littérature pour adolescents : sélection de Daniel Delbrassine

 


 

Infos pratiques

Centre de littérature de jeunesse de la Ville de Liège
Féronstrée 118
4000 Liège.
Infos : 04. 383.71.00 ou chantal.cession@lesati.be


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