Enquête sur le hochepot gantois, 2e partie

Tout concorde. Le mets comprend des morceaux de queue de mouton cuits à l'eau avec du bœuf, du mouton et du veau. Le tout mijote ensuite dans un bon bouillon agrémenté de diverses racines, d'oignons, de céleri, de poireaux, de pieds et d'oreilles de cochon, de perdrix, de pigeons, de jambon, de cervelas ainsi que de la moitié d'un chou. On assaisonne avec une mignonette, c'est-à-dire un mélange de coriandre, de poivre, de clous de girofle et de noix de muscade. L'oille est bien l'Olla podrida et se sert à l'espagnole : la viande dans un grand plat et le bouillon dans de petits pots à oille individuels. Au 18e siècle, les français développent des formes plus personnelles de l'oille. Néanmoins, c'est la version originale qu'on retrouve le plus souvent dans les ouvrages culinaires.

Malgré la perte d'un certain nombre d'ingrédients depuis le 16e siècle, l'oille demeure un gigantesque pot-au-feu aux allures princières. Il est pourtant loin de constituer un repas à lui tout seul. Hôte obligatoire des meilleures tables de France, c'est une grande entrée servie parmi tant d'autres. Le service à la française en vigueur au18e siècle permet en effet d'amener un grand nombre de plats à table et d'offrir une belle variété de mets aux convives qui se servent à leur guise dans les plats à portée de main. On peut juger de la richesse d'une table royale au 18e siècle grâce au menu d'un souper pris le 29 avril 1751 par Louis XV au château de Choisy. Après les deux grandes entrées, un quartier de veau et un rost de bif de mouton de Versailles, viennent les deux oilles, un espagnol et l'autre à la Crécy. Suivent les douze entrées, les deux relevés, les deux grands entremets, les deux moyens, les six rôtis et les douze petits entremets6. Bien entendu, le roi ne mange pas tout ce qui se trouve à table. Ce qui compte, c'est la variété.

L'évolution du hochepot

Dans le même temps, le hochepot commence à prendre un chemin particulier. Nous avons vu qu'il est difficile de donner une définition précise du hochepot médiéval tant il varie en fonction des livres étudiés. Au18e siècle encore, il est instable. Néanmoins, on sent qu'il commence à s'uniformiser, précisément sous l'influence de l'oille ou Olla podrida.

Le hochepot présenté par Vincent La Chapelle paraît être une version plus simple de l'oille. Il s'agit d'un pot-au-feu composé uniquement de viande de bœuf cuite avec du bouillon, des carottes et des panais. Dans d'autres ouvrages, une recette particulière de hochepot commence à prendre de l'importance. Il s'agit du hochepot de queue de bœuf qui se trouve entre autres dans La cuisinière bourgeoise (1752) de Menon. La queue de bœuf est la seule viande du plat qui cuit avec des oignons, des carottes, des panais, des navets et du chou. C'est cette recette qui s'impose au 19e siècle et se décline en d'autres mets, comme la Queue de mouton en hochepot de Beauvilliers7. En 1889, le hochepot est toujours un pot-au-feu avec une queue de bœuf, du lard, des navets, des carottes, des racines de céleri, des petits oignons et un chou cuits dans du bouillon8.

Nous observons donc dès le 18e siècle une recette plus ou moins récurrente de hochepot avec de la viande de bœuf – la queue s'impose – qui cuit avec des carottes, des oignons, des navets, du céleri, du chou et parfois des panais. L'ensemble de ces légumes est commun aux recettes d'Olla podrida, d'oille et de hochepot gantois. Mais en ce qui concerne la viande, nous n'avons pas encore le compte.

L'oille et le hochepot chez nous

Dans nos régions, l'oille fait également fortune. On le retrouve dans les textes sous la forme oye (Nivelles)9 ou houille (Havelange), terme utilisé notamment par Menon dans l'ensemble de son œuvre. La recette de houille du manuscrit d'Havelange du 18e siècle sur lequel nous revenons régulièrement dans nos articles, est bien une version simplifiée de l'Olla podrida. Elle reprend comme ingrédients le bœuf, le mouton, la poularde, l'oreille et le pied de cochon, la saucisse, les pieds de mouton, le chou vert et les carottes. Dans le même ouvrage, il y a un hospot bourgeois, mais ce dernier est un ragoût de bœuf au court bouillon avec des carottes, des oignons et des pruneaux, ce qui le rapproche du hochepot lillois, comprenant du bœuf bouilli avec des carottes

 
Hochepot bourgeois730
Le hochepot bourgeois dans le manuscrit d'Havelange. Ce ragoût de bœuf avec carottes et pruneaux
est encore aujourd'hui un classique de la cuisine française.

Un siècle plus tard, chez le grand cuisinier gantois Cauderlier, nous trouvons deux recettes de hochepot. Un hochepot de mouton qui n'est rien d'autre qu'un ragoût de mouton mijoté dans un roux allongé à l'eau. Ici, il faut remuer souvent pour que cela n'attache pas. L'autre recette est à base de porc. Elle se confectionne avec de la poitrine de porc, un pied et une oreille de porc, du thym, du laurier, des oignons, des clous de girofle, du poivre, un pied de céleri, des navets, du chou et des pommes de terre10.   Nous sommes très proches du hochepot gantois, même s'il manque encore l'agneau, le bœuf, le veau, et les saucisses de l'oille. Ces derniers feront définitivement partie du hochepot traditionnel au 20e siècle. Plat simplement du Nord dans les livres français, il est considéré à Gand comme un plat identitaire. Sa véritable origine est néanmoins à chercher dans l'Olla podrida espagnol.

Une explication

Il semblerait bien que le hochepot, au départ un pot-au-feu pouvant contenir à peu près tout ce qu'on veut, ait évolué, à partir du 18e siècle, vers une recette précise sous la forte influence de l'Olla podrida ayant donné l'oille chez les Français. Au cours du temps, le hochepot s'enrichit des ingrédients utilisés dans l'oille, en empruntant d'abord les légumes, et ensuite les viandes. Au 19e et au 20e siècle, il finit par s'identifier complètement à son modèle en même temps que celui-ci disparaît des livres de recettes.

En ce qui concerne le hochepot de viande de bœuf hachée cuite à sec avec des marrons dont parlent les dictionnaires, nous n'en avons trouvé aucune trace dans les livres de cuisine, anciens ou modernes.

En Espagne, l'Olla podrida tient toujours le haut du pavé. Chaque cuisinière possède sa manière de le préparer et chaque Espagnol se souvient avec émotion du succulent et inimitable pot-pourri préparé par sa grand-mère. Flamands et Espagnols partagent donc un même plat régional qui a été, au 16e siècle, l'empereur de la gastronomie des cours européennes.

Pierre Leclercq
Novembre 2010


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Pierre Leclercq est historien de la gastronomie. Avec chercheurs et artisans de Thoueris, il redécouvre et confectionne des plats anciens à l'identique.   




6 Jean-Louis Flandrin, L'ordre des mets, Paris, 2002, p. 160.
7 A. Beauvilliers, L'Art du cuisinier, t. 1, Paris, Chez Pilet, 1814, p. 193.
8 Foveau de Courmelles, La sauce, La cuisine chez soi (hygiène, simplicité, délicatesse), Paris, 1889, p. 208, 209.
9 Walther v. Wartburg, Französisches Etymologisches Wörterbuch, Tome VII, 1955, p. 350, col. 2
10 Philippe Cauderlier, L'économie culinaire, Gand, 1861, p. 147, 166.

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