Enquête sur le hochepot gantois, 2e partie

Avouons-le, les premiers pas de notre enquête sur le hochepot gantois ne sont pas encourageants. Les hochepots médiévaux repris dans les textes d'Europe septentrionale, qu'ils soient français, anglais ou flamands, n'offrent aucune similitude avec notre hochepot. De plus, ils ne correspondent pas à l'étymologie du mot. Tous les mets retrouvés mijotent dans un liquide, ce qui n'oblige en rien de « hocher » dans le « pot » pour que les ingrédients n'attachent pas. Peut-être y a-t-il un problème de vocabulaire ? Peut-être notre mets gantois est-il à chercher ailleurs que dans les premières recettes de hochepot ?

 

Un gigantesque pot-au-feu qui ne s'appelle pas hochepot

scapi300

Nous en étions restés au huspot de cerf du manuscrit 476 de la bibliothèque de l'Université de Gand. Il s'agit d'une énième version de hochepot dans les livres médiévaux. Néanmoins, celle-ci est demeurée quelque temps dans nos régions sous ce nom. En effet, on retrouve dans l'Ouverture de cuisine (1604) du Liégeois Lancelot de Casteau un Heuspot de venaison assez proche de celui de Gand. À côté de ce dernier, le maître queux des princes-évêques de Liège donne une recette de Heuspot de bœuf, une de Heuspot de veau et trois de Heuspot de veau en mesnage. Hélas, une fois encore, aucune des versions ne correspond au hochepot gantois. Par contre, dans le même livre, une recette ressemble à s'y méprendre à ce dernier. Il s'agit du Pot pourry dict en Espaignolle Oylla podrida.

Marx Rumpolt300

L'Olla podrida espagnol est probablement le mets le plus riche en ingrédients de tous les temps. Au cours du 16e siècle, ce gargantuesque pot-au-feu de la haute aristocratie se répand rapidement dans les cours européennes où son nom espagnol adopte les accents des divers pays d'accueil. Chez l'Italien Scappi, queux des papes Pie IV et Pie V, nous trouvons l'Oglia potrida. Il explique que les Espagnols l'appellent ainsi, car olla est le pot dans lequel ils cuisent le mets et podrida renvoie à des ingrédients bien cuits1. L'Allemand Marx Rumpolt, queux de l'évêque de Mayence Daniel Brendel von Homburg, donne sa version d'Hollopotida 2. L'Anglais Gervase Markham parle d'Olepotridge 3.

Marx Rumpolt et surtout Bartolomeo Scappi ont marqué la cuisine renaissante
de leur empreinte. Ils ont donné tous les deux leur version de l'Olla podrida,
tout comme l'Anglais Gervase Markham et le Liégeois Lancelot de Casteau.

Toutes ces déclinaisons de l'Olla potrida rivalisent de somptuosité et de gigantisme. Jugez plutôt du nombre d'ingrédients de celui de Lancelot de Casteau :

  • Bouillon.
  • En viandes : bœuf, chapon ou poule, gigot de mouton, canard, jarrets de veau, pigeons farcis, perdrix, bécasses, saucisses de Bologne, mortadelles, jambon de Mayence, pieds et oreilles de porc, petites saucisses, andouilles, viande de veau revêtue (hachis), panse de mouton farcie, dinde, lard, oiseaux rôtis et pieds de mouton.
  • En légumes : choux farcis, carottes, chou-fleur, pois et fèves.
  • En fruits : limon salé, pignons, pistaches, amandes, coings confits, châtaignes et dattes.
  • En aromates : herbes diverses, oignon, marjolaine, menthe, câpre, vin blanc, poivre, sucre, cannelle, noix de muscade.
  • En laitage : beurre, fromage, parmesan.
  • Divers : truffes, raviolis.

L'Olla podrida, littéralement le pot-pourri, est un festin à lui tout seul. Quel plat ! Et quelle variété ! D'ailleurs, au sens figuré, on a longtemps utilisé le terme olla podrida pour désigner un ensemble disparate, surtout en littérature, au même titre que « pot-pourri » dont il est la traduction exacte.

Arrêtons-nous brièvement sur la composition de ce mets. Tous les ingrédients du hochepot gantois de Pierre Wynants s'y trouvent : le bouillon pour étuver, les pieds de porc – mais les oreilles à la place de la queue –, le lard, l'agneau, les saucisses, les oignons, le chou et les carottes. Il semblerait bien que le hochepot gantois soit une version simplifiée du fameux pot-pourri espagnol. Comment est-il arrivé jusqu'à nous et pourquoi a-t-il changé de nom ?

 




1 Bartolomeo Scappi, Opera, 1570, livre II, chap. 152.
2 Marx Rumpolt, Ein new kochbuch, Francfort, 1581, f° 137, v°.
3 Gervase Markham, The English Housewife, Londres, 1683.

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