Enquête sur le hochepot gantois, 2e partie

L'oille ou houille français

Si les Italiens, les Anglais, les Allemands et les Liégeois adoptent l'Olla podrida espagnol, les Français ne sont pas en reste. Dans les livres parisiens du 17e siècle, les « pots-pourris », qu'ils soient de faisan ou d'oie, sont des recettes simples n'ayant rien à voir avec l'Olla podrida 4. En fait, le pot-au-feu espagnol est entré dans la gastronomie française sous le nom de « oille », qui se prononce « ol » et qui vient de olla, tiré d'Olla podrida. Il apparaît pour la première fois chez Madame de Sévigné, dans sa lettre du 2 novembre 16735. Sa description donne une précision : J'avois le pot-au-feu, c'étoit une oille et un consommé, qui cuisoient séparément. D'après la littérature culinaire du 18e siècle, la viande et le consommé ne sont pas cuits séparément, mais bien servis séparément. C'est la méthode de l'Oille à l'espagnole présentée par Vincent la Chapelle dans Le cuisinier moderne (1742). On remarquera tout de suite le luxe habituel de la gastronomie française du 18e siècle.

Prennez des tendrons de bœuf, de la poitrine du côté du bas bout, & le coupé par morceaux grand comme deux doits, & les mettez dans l'eau, prenez aussi des tendrons de poitrine de mouton, & tendrons de poitrine de veau, & des queuës de mouton, le tout coupez par morceaux bien proprement ; prenez une marmite, & la garnissez de bonne tranche de bœuf l'épaisseur d'un pouce, & y mettez vos tendrons de bœuf, une grande quantité de racines, avec un paquet de celeri bien propre, parce qu'il faut qu'il serve, un paquet de porreaux, moüillez-le de boüillon ; vôtre bœuf étant un peu avancé de cuire, vous y mettrez vos tendrons de mouton, & de veau, deux pieds & deux d'oreilles de cochon, deux perdrix, deux pigeons, une noix de jambon, un bon cervelat, la moitié d'un choux blanchi & bien pressé, & ficellé, mettez-le dans votre Oille assaisonnées d'ognons, & y mettez une mignonette, achevez de la couvrir de tranches de bœuf, prennez un couple de livres de veau, & les coupés en tranches, mettez les dans une casserole suer doucement sur un fourneau ; étant attachez comme une glasse de veau, moüillez les de boüillon, & les mettez dans vôtre Oille ; il faut avoir dès le soir des gravances, à tremper dans de l'eau tiéde, & le matin, les éplucher les unes après les autres ; & ensuite les laver dans de l'eau chaude, & les mettre cuire dans une petite marmite avec de bon boüillon ; vôtre Oille étant cuitte, goutez-le, & lui donné le meilleur goût qu'il vous sera possible ; ensuite, tirez toutes vos viandes & racines dans un grand plat, prenez le plat où vous voullez servir, ou pot à Oille, & y rangez vos tendons de bœuf, de mouton, de veau, & de racines, épluchez bien proprement le tout, étant arangé dans le plat, nommé ci-dessus, vous arangerez les pieds & oreilles de cochon, choux, celeri & poreaux, le tout étant arangé bien proprement, mettez vos égravances par-dessus avec un peu de boüillon d'Oille, & servez chaudement ; il faut avoir des tasses de porcellaine couvertes, & du pain coupé en tranche, grand comme deux doigts, & le faire griler, remplissez chaque tasses de boüillon, & y mettez à côté, un morceau de pain grillé, observez que le boüillon soit de bon goût, & servez le plus chaudement qu'il vous sera possible. 

Recette actualisée pour 6 à 8 personnes

200 g de tendrons de bœuf (ou autre morceau à mijoter), 200 g de tendrons de mouton (ou autre morceau à mijoter),  200 g de tendrons de veau (ou autre morceau à mijoter), queues de mouton, 1 litre de bouillon, tranches de bœuf de 2,5 cm d'épaisseur pour foncer la marmite et la recouvrir, 1 kg de veau en tranches, 2 ou 3 carottes, 1 branche de céleri,  2 ou 3 poireaux, 2 pieds de cochon, 2 oreilles de cochon, 2 perdrix, 2 pigeons, 1 noix de jambon, 1 cervelas,      ½ chou,  2 oignons, coriandre, poivre, 1 douzaine de clous de girofle (nous en conseillons moins), 1 noix de muscade, 200 g de pois chiches.

Faire tremper les pois chiches dans de l'eau tiède la vielle.
Le jour-même, préparer la mignonette : ficeler dans un morceau d'étamine la coriandre, le poivre, les clous de girofle et la noix de muscade.
Découper les tendrons de bœuf, de mouton et de veau, ainsi que les queues de mouton, en morceau de deux doigts d'épaisseur et les faire tremper dans de l'eau.
Foncer une marmite avec les tranches de bœuf. Poser les tendrons de bœuf, les carottes, le céleri et les poireaux. Mouiller le tout de bouillon.
Quand le bœuf est à mi-cuisson, ajouter le mouton et le veau, les pieds et les oreilles de cochon, les perdrix, les pigeons, la noix de jambon, le cervelas, la moitié du chou blanchi bien séché et ficelé, les oignons ainsi que la mignonette (mélange de coriandre, poivre, girofle et muscade).Couvrir le tout de tranches de bœuf.
Faire suer doucement les tranches de veau dans une casserole. Quand elles attachent, mouiller de bouillon et transvaser dans l'oille.
Pendant ce temps, faire cuire les pois chiches dans un bon bouillon. Quand l'oille est cuite, rectifier l'assaisonnement puis dresser dans un grand plat. Bien nettoyer les tendrons de bœuf, de mouton et de veau, ainsi que les carottes. Les placer en premier, puis les pieds et les oreilles de cochon, le chou, le céleri et les poireaux. Terminer avec les pois chiches et un peu de bouillon de la préparation.
Verser le reste du bouillon dans des tasses individuelles contenant chacune une tranche de pain grillé.

 



4 Pierre de Lune, Le cuisinier, dans L'art de la cuisine française du XVIIe siècle, Paris, 1995, p. 258, 260.
5 Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis, t. 2, Paris, 1863, p. 262.

 

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