Camille Laurens, Dans ces bras-là

 

Laurens

Dans ces bras-là, roman à la fois drôle, émouvant et profond, marque probablement un tournant dans la carrière littéraire de Camille Laurens. Non seulement ce roman lui vaut le prix Fémina en l'an 2000 et la fait accéder à une certaine notoriété, mais, en lui-même, il se traduit par un changement de ton dans son œuvre. Auparavant, Camille Laurens avait en effet déjà publié chez POL cinq romans exigeants, obéissant à une recherche formelle narrative assez pointue. Dans ces bras-là, en comparaison, paraît plus léger et fait pénétrer son auteure dans le domaine de l'autofiction, genre qu'elle pratique toujours aujourd'hui avec brio. Disons, de façon simplificatrice et en usant de termes qui n'ont peut-être absolument aucun sens, qu'avec Dans ces bras-là, Camille Laurens passe du modernisme à la postmodernité.

La psychanalyse est peut-être le vecteur qui aura permis ce passage. Elle sert en tout cas d'amorce (très efficace) au récit : la narratrice, qui se prénomme Camille, tombe éperdument amoureuse d'un homme aperçu à la terrasse d'un café. Elle le suit discrètement dans la rue et apprend qu'il est psychanalyste. Elle décide alors de se lancer dans une analyse afin de le séduire.

La psychanalyse donne peut-être également au roman son sujet et sa structure. Le sujet du livre est en effet conditionné par celui de la cure : il y est question des hommes, ces énigmes vivantes, et des rapport que la narratrice entretient avec un certain nombre d'entre eux : le père, le grand-père, l'amant de la mère, le mari, l'amant, l'inconnu, l'éditeur, le lecteur, le professeur, l'élève, l'acteur, le médecin... et, bien entendu, le psychanalyste, qui a droit à de nombreux petits chapitres sous-titrés « Seule avec lui ». Quant à la structure du roman, elle est décousue et fragmentée, comme les propos qu'un analysant tient lorsqu'il est allongé sur un divan. Pas tout à fait, bien entendu : la structure, pour être fragmentée, est réfléchie et finement agencée. Elle permet à Camille Laurens de ne retenir que les expériences saillantes en ignorant les ennuyeuses transitions. Néanmoins, sans correspondre à la pratique de l'association libre, elle fonctionne tout de même par associations – associations « dirigées », pourrait-on dire – à partir d'un mot se rapportant aux hommes.

Si le point de vue est bel et bien celui de la narratrice, qui nous donne sa vision des hommes en général et des hommes de sa vie en particulier, la psychanalyse n'est pas prétexte à une espèce de reconstruction de l'ego, de récit rétrospectif donnant un sens au passé. Il s'agit d'un questionnement ouvert et, partant, fécond : « Si on pouvait se nommer, si on savait se présenter dans l'évidence de son sexe, dans la certitude de son être, dans le rayonnement de cette double vérité – moi et l'autre, l'autre et moi – on n'écrirait pas, il n'y aurait pas d'histoire, pas de sujet, pas d'objet. Je n'écrirais pas si vous étiez l'homme. »

Enfin, la psychanalyse est peut-être ici présente via le thème obsédant du désir, notamment dans ce passage, véritable blason, très jubilatoire, par lequel va se clôturer ce rapide compte rendu : « Ce que j'aime le plus chez les hommes, physiquement, ce sont les épaules, la ligne qui va du cou à l'articulation des bras, les bras, la poitrine, le dos. Ce qui me plaît dans un homme, c'est la stature, la carrure, la statue. Les jeunes éphèbes, très peu pour moi – ou alors déjà solides, déjà capables de porter le monde dans l'urgence catastrophique et leur cavalière dans le rock acrobatique. Je peux rester des heures devant le torse de Jupiter, le buste d'Apollon, le dos d'Atlas. Mon idéal ressemble aux études de Michel-Ange, aux dessins de Léonard, il a la musculature des titans. Je ne manque aucune retransmission des championnats d'athlétisme, ces ralentis des grands sprinteurs aspirant l'air dans leur poitrine comme des chevaux qui galopent, les départs du cent mètres nage libre... Mon type d'homme, c'est Zeus – j'ai un faible pour les dieux. » (p. 48)

Laurent Demoulin
Novembre 2010

 

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Laurent Demoulin est docteur en Philosophie et lettres. Ses recherches portent sur le roman contemporain belge et français, ainsi que sur la poésie du 20e siècle.


 

Camille Laurens, Dans ces bras-là, Paris, POL, 2000.

Vidéo : Camille Laurens lit un extrait de Dans ces bras-là