Marie-Jeanne Désir, Sofa blues
Desir

Marie-Jeanne Désir : est-ce un nom de plume ou un véritable patronyme reconnu par l’État civil ? Je l’ignore, mais il convient particulièrement bien à l’auteure de Sofa blues, cet étrange petit roman, plein de malices et de poésie, qui est paru en 2000 à Bruxelles et qui se déroule à Liège. Marie-Jeanne Désir, depuis lors, a publié un second roman en 2002, L’Amourette, puis, sauf erreur, sa voix s’est tue : on ne peut que le regretter car ses débuts en littérature étaient pleins de promesses.

Sous des dehors ludiques et légers, Sofa blues cachait un projet ambitieux : mêler une réflexion existentielle et sociale à un véritable déferlement de l’imaginaire… C’est en effet une espèce de dialogue entre la mémoire et l’imagination qui se noue ici. Ainsi, les portraits des deux personnages principaux, le psychanalyste et la narratrice, paraissent de prime abord réalistes avant de céder au fantasme : l’un se transformant en Sherlock Holmes, par exemple, tandis que l’autre devient une poule. Ces mutations ne sont pas gratuites, on le devine, mais leur interprétation ne sera pas imposée au lecteur : libre à lui de faire ses propres associations.

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La psychanalyse joue, dans ce contexte, un rôle complexe. D’une part, elle sert de cadre et se traduit par une espèce de huis clos, le roman ne mettant en scène la narratrice qu’en deux lieux : chez son psy et dans le café où elle se rend à la sortie de la consultation pour y méditer de façon solitaire. D’autre part, la psychanalyse représente une ouverture multiple. Ouverture vers l’autre, d’abord, c’est-à-dire vers le psychanalyste, qui ressemble bien ici au « sujet supposé savoir » tel que l’a conceptualisé Jacques Lacan – à cet égard, il faut peut-être considérer Sofa blues comme un roman consacré d’avantage au transfert qu’à la cure analytique elle-même. Ouverture vers l’imaginaire ensuite, puisque les mutations des personnages semblent étroitement liées à l’expérience du divan. Ouverture vers le langage, enfin, et par conséquent vers la littérature, car une part de la réflexion psychanalytique rapportée ici concerne les mots, voire les signifiants : « Lier, délier, relier. Toute vie dépend de la qualité des connexions, me dis-je en dégustant mon expresso. Sur un carton de bière, j’inscris le mot “lien” qui graphiquement, à la façon dont je trace le n, se confond avec le mot “lieu”. Lien et lieu, une seule lettre commet la différence… J’assemble N et U, permute les caractères et découvre UN, le singulier, l’être, le corps. Le corps NU. » (page 26) La conséquence de cette tension entre le repli et l’ouverture est le roman lui-même, qui aime à jouer avec les mots, qui n’a rien d’une confession brute, rien d’un récit de vie et qui demeure ouvert, comme l’illustre le fait qu’il se termine par une question : « Comment savoir qui on est et savoir ce que l’on veut sinon en marchant vers l’été ? »

 

Laurent Demoulin
Novembre 2010

 

 

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Laurent Demoulin est docteur en Philosophie et lettres. Ses recherches portent sur le roman contemporain belge et français, ainsi que sur la poésie du 20e siècle.


 

Marie-Jeanne Désir Sofa blues, Bruxelles, Éditions La Part de l’œil, collection « Fiction », 2000, 73 p.