Enquête sur le hochepot gantois, 1re partie

Dans un article précédent, nous nous sommes déjà penchés sur un plat identitaire wallon : le boulet. Par souci de parité linguistique, nous allons mener notre nouvelle enquête sur un plat identitaire flamand : le hochepot gantois. Cette merveille gastronomique va nous faire voyager bien plus qu'on ne pourrait le croire a priori. Elle va également nous démontrer qu'il ne faut pas toujours se fier au nom d'un plat pour en retrouver l'origine. Partons donc sur la piste de ce mets singulier à travers des siècles d'embrouillamini linguistique.

Le hochepot gantois, c'est quoi exactement ?

De quoi se compose le hochepot gantois ? Pour répondre à la question, adressons-nous à un maître en la matière, Pierre Wynants, ancien chef du Comme chez soi et auteur de l'ouvrage éponyme. Sa recette est un copieux et savoureux pot-au-feu comprenant du bouillon, des pieds de porc, des queues de porc, du lard, de l'épaule d'agneau, du foie de veau, des saucisses, des poireaux, des oignons, du céleri, des navets, des panais, du chou vert, des choux de Bruxelles, des carottes et des pommes de terre.

Hochepot gantois
Le hochepot gantois de Pierre Wynants

C'est pour ainsi dire la même recette que nous retrouvons sous le simple nom de « hochepot » dans quelques livres de cuisine du 20e siècle pris au hasard — par exemple, le « hochepot », une spécialité du Nord, dans Cuisine moderne et vieilles recettes (1962).2

Cette recette impressionnante a de quoi intriguer le chercheur, mais pas uniquement à cause de la pléthore de ses ingrédients. En effet, d'après le Trésor de la langue française, le hochepot est un ragoût à base de bœuf haché, cuit à petit feu sans eau avec des marrons et des navets, dans un pot de terre que l'on secoue de temps à autre pour que le contenu n'attache pas. Par extension, il s'agit également d'un plat régional (Flandres), composé de viandes et de légumes divers cuits à l'étouffée. Queue de bœuf en hochepot (Lar. mén. 1926).3

Ainsi, d'après le T.L.F., le hochepot est au départ un ragoût sec qu'il faut mélanger continuellement pour éviter que cela n'attache au fond de la casserole. C'est pourquoi le nom de la recette se compose de « hoche », du verbe hocher et de « pot », le contenant. Il s'agit également d'un plat flamand cuit à l'étouffée dans un bouillon, ce qui l'éloigne sensiblement de la recette originale. On l'appelle également « queue de bœuf en hochepot ». À l'évidence, beaucoup de choses se sont passées au cours de l'histoire du hochepot.

L'étymologie

Une première tradition fait venir le mot du néerlandais huys-pot, qui a donné hutspot et qui signifie littéralement le pot-au-feu de la maison. Il s'agit d'un ragoût hollandais composé de deux sortes de viandes ainsi que d'autres ingrédients. Il aurait été imité par les cuisiniers français qui lui ont donné le nom de hochepot. C'est en tout cas une explication qu'on nous donne au 17e siècle.4

Cette opinion n'est plus suivie actuellement, comme nous venons de le voir dans le T.L.F. Le mot viendrait de la contraction de hocher et de pot. Nous verrons que cette interprétation n'est pas totalement satisfaisante si on considère les diverses tendances du hochepot au cours de l'histoire.

Les premières traces de hochepot

Le terme hochepot apparaît aux environs de 1225 dans le poème allégorique Le songe d'enfer de Raoul de Houdenc. L'auteur s'y met en scène dans un périple à travers les diverses contrées des péchés des hommes. Arrivé en Enfer, il est convié par Belzébuth à un fastueux banquet. Assis sur des hérétiques et accoudé à une table nappée de peau d'usurier sans loyauté, il se délecte d'assassins marinés à l'ail, de vieilles putains pustuleuses et faisandées, de rôti d'hérétiques à la grand'sauce de Paris, de langues de plaideurs frites dans leur mépris du droit, de vieilles prêtresses au civet ou des sodomites cuits à point dans leur honte.5 Parmi ces mets de choix, se trouve le hochepot farci de déloyaux plaideurs. Ce terme désigne clairement au 18e siècle un plat luxueux, un plat dont on se repaît lors des fêtes gastronomiques des enfers.

Le texte manque hélas de détails pour se faire une idée précise de ce qu'est le hochepot à cette époque. Nous devons donc nous rabattre sur le Viandier, l'un des premiers livres de cuisine de l'occident médiéval, paru au début du 14e siècle, pour en connaître la composition.


 
 
1 Pierre Wynants, Comme chez soi, Paris, 1985, p. 323.
2 Cuisine moderne et vieilles recettes, 1962, p. 87.
3 T.L.F.
4 Jean Hindret, L'art de prononcer parfaitement la langue françoise, t. 1, Paris, 1696, p. 172.
5 Raoul de Houdenc, Le Songe d'Enfer, Paris, 1908, p. 84-90.

Page : 1 2 suivante