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Enquête sur le hochepot gantois, 1re partie

19 November 2010
Enquête sur le hochepot gantois, 1re partie

Dans un article précédent, nous nous sommes déjà penchés sur un plat identitaire wallon : le boulet. Par souci de parité linguistique, nous allons mener notre nouvelle enquête sur un plat identitaire flamand : le hochepot gantois. Cette merveille gastronomique va nous faire voyager bien plus qu'on ne pourrait le croire a priori. Elle va également nous démontrer qu'il ne faut pas toujours se fier au nom d'un plat pour en retrouver l'origine. Partons donc sur la piste de ce mets singulier à travers des siècles d'embrouillamini linguistique.

Le hochepot gantois, c'est quoi exactement ?

De quoi se compose le hochepot gantois ? Pour répondre à la question, adressons-nous à un maître en la matière, Pierre Wynants, ancien chef du Comme chez soi et auteur de l'ouvrage éponyme. Sa recette est un copieux et savoureux pot-au-feu comprenant du bouillon, des pieds de porc, des queues de porc, du lard, de l'épaule d'agneau, du foie de veau, des saucisses, des poireaux, des oignons, du céleri, des navets, des panais, du chou vert, des choux de Bruxelles, des carottes et des pommes de terre.

Hochepot gantois
Le hochepot gantois de Pierre Wynants

C'est pour ainsi dire la même recette que nous retrouvons sous le simple nom de « hochepot » dans quelques livres de cuisine du 20e siècle pris au hasard — par exemple, le « hochepot », une spécialité du Nord, dans Cuisine moderne et vieilles recettes (1962).2

Cette recette impressionnante a de quoi intriguer le chercheur, mais pas uniquement à cause de la pléthore de ses ingrédients. En effet, d'après le Trésor de la langue française, le hochepot est un ragoût à base de bœuf haché, cuit à petit feu sans eau avec des marrons et des navets, dans un pot de terre que l'on secoue de temps à autre pour que le contenu n'attache pas. Par extension, il s'agit également d'un plat régional (Flandres), composé de viandes et de légumes divers cuits à l'étouffée. Queue de bœuf en hochepot (Lar. mén. 1926).3

Ainsi, d'après le T.L.F., le hochepot est au départ un ragoût sec qu'il faut mélanger continuellement pour éviter que cela n'attache au fond de la casserole. C'est pourquoi le nom de la recette se compose de « hoche », du verbe hocher et de « pot », le contenant. Il s'agit également d'un plat flamand cuit à l'étouffée dans un bouillon, ce qui l'éloigne sensiblement de la recette originale. On l'appelle également « queue de bœuf en hochepot ». À l'évidence, beaucoup de choses se sont passées au cours de l'histoire du hochepot.

L'étymologie

Une première tradition fait venir le mot du néerlandais huys-pot, qui a donné hutspot et qui signifie littéralement le pot-au-feu de la maison. Il s'agit d'un ragoût hollandais composé de deux sortes de viandes ainsi que d'autres ingrédients. Il aurait été imité par les cuisiniers français qui lui ont donné le nom de hochepot. C'est en tout cas une explication qu'on nous donne au 17e siècle.4

Cette opinion n'est plus suivie actuellement, comme nous venons de le voir dans le T.L.F. Le mot viendrait de la contraction de hocher et de pot. Nous verrons que cette interprétation n'est pas totalement satisfaisante si on considère les diverses tendances du hochepot au cours de l'histoire.

Les premières traces de hochepot

Le terme hochepot apparaît aux environs de 1225 dans le poème allégorique Le songe d'enfer de Raoul de Houdenc. L'auteur s'y met en scène dans un périple à travers les diverses contrées des péchés des hommes. Arrivé en Enfer, il est convié par Belzébuth à un fastueux banquet. Assis sur des hérétiques et accoudé à une table nappée de peau d'usurier sans loyauté, il se délecte d'assassins marinés à l'ail, de vieilles putains pustuleuses et faisandées, de rôti d'hérétiques à la grand'sauce de Paris, de langues de plaideurs frites dans leur mépris du droit, de vieilles prêtresses au civet ou des sodomites cuits à point dans leur honte.5 Parmi ces mets de choix, se trouve le hochepot farci de déloyaux plaideurs. Ce terme désigne clairement au 18e siècle un plat luxueux, un plat dont on se repaît lors des fêtes gastronomiques des enfers.

Le texte manque hélas de détails pour se faire une idée précise de ce qu'est le hochepot à cette époque. Nous devons donc nous rabattre sur le Viandier, l'un des premiers livres de cuisine de l'occident médiéval, paru au début du 14e siècle, pour en connaître la composition.


 
 
1 Pierre Wynants, Comme chez soi, Paris, 1985, p. 323.
2 Cuisine moderne et vieilles recettes, 1962, p. 87.
3 T.L.F.
4 Jean Hindret, L'art de prononcer parfaitement la langue françoise, t. 1, Paris, 1696, p. 172.
5 Raoul de Houdenc, Le Songe d'Enfer, Paris, 1908, p. 84-90.

Le hochepot dans les livres de cuisine médiévaux

En France

Une seule recette de hochepot, celui de poulaille, apparaît dans chaque manuscrit connu du Viandier. Voici la plus ancienne version, celle du manuscrit de Sion retrouvé à la bibliothèque cantonale du Valais et datant de la première moitié du 14e siècle.

Hochepot de poullaile metez par membres surfrire en saing de lart prenez ung pou de pain brullé & des foyes deffais de vin & du boillon de beuf metez boulir vostre grain affinez gingembre canelle grene de paradis deffait de verjus et doit estre noiret & cler.6

Ce hochepot n'a rien à voir, ni avec le gantois, ni avec le ragoût sec de hachis de bœuf cuit avec des marrons. Ici, il s'agit d'un ragoût de morceaux de volailles frits dans du lard gras puis cuits dans du bouillon lié au foie et au pain grillé. Il est épicé de cannelle et de maniguette puis délayé dans du verjus afin de lui donner un aspect clair. Le hochepot du Viandier est un dérivé du hondou de chapon, tiré du même livre, et quasi identique :

Hondous de chapons cuisiez en vin & en eaue despe ciez par menbres friolez en saing prenez ung pou de pain brullé desfait de boullon faitez boulir avec vostre grain affinez gingembre canele girofle graine de paradis deffait de verjus ne soit pas trop blancs.7

Manuscrit de Sion 2
Le manuscrit de Sion contient probablement la première recette écrite de hochepot. Il date du début du 14e siècle et on n'en connaît pas le titre, même si on sait qu'il porte le germe du Viandier, grand classique de la littérature culinaire du bas Moyen Âge. Livres en bouche, Cinq siècles d'art culinaire français du quatorzième au dix-huitième siècle, 2001, p. 34.

Le Mesnagier de Paris, paru aux alentours de 1393, reprend la recette de Hondou du Viandier sous le titre de Hardouil. Pour le hochepot, l'auteur se contente de préciser qu'on le prépare de la même manière que le Hardouil, mais qu'il ne doit pas être trop clair, ce qui est en contradiction avec la version du Viandier d'après laquelle il doit être clair. Il précise que c'est ainsi qu'on cuit les oies dures et maigres.8

En Angleterre

Ce sont justement des oies qu'on retrouve dans les recettes de hoggepot anglaises. Le Liber cure cocorum (1430) et le Fourme of curye (1486) délivrent une recette d'oie en hochepot qui comporte quelques différences avec celle du Mesnagier de Paris. L'oie est découpée et cuite dans du bouillon et du vin comme dans les livres français. Néanmoins, la recette anglaise utilise de l'oignon en bonne quantité ainsi que du sang comme liant. Vu comme cela, le hochepot anglais fait plutôt penser à un civet, surtout à cause de la présence importante d'oignons. En effet, le civet au Moyen Âge est caractérisé par la présence d'oignon (civet vient de cive), et ne comporte pas de sang.9

En Flandre

Dans les textes flamands, nous avons encore d'autres versions de hochepot, plus proches des anglaises que des françaises. Le manuscrit 476 de la bibliothèque de l'Université de Gand (fin 15e, début 16e siècle) en fournit deux recettes. Om huspot te maken van stuer op de somersche manier est à base d'esturgeon et Om hutspot te redenen van een hert est à base de cerf. Ils se cuisinent tous deux avec du vin rouge. Voici la recette de hochepot de cerf qui ressemble davantage au civet de biche contemporain qu'à notre hochepot. Les ajouts dans le texte sont de Ria Jansen-Sieben.

Om een huspot [stoofpot] te redenen [bereiden] van een hert

Men sallet sieden [moet het koken] in sop [kooknat] van vleijs ende in watere ende latet [laat het] een half ure sieden, dan salment [moet men het] uuijt nemen ende wassent [was het] in lau water; alst Aldus gedaen is dan salment weder te vier [vuur] doen mit sop en water ende latet al morru [gaar] sieden ende doen daer een luttel speck in, gesneden teerlincxgewijse [in dobbelsteentjes], off lauwerbladen alsoe ment liefste heft [zoals men het liefste wil]; al dat vleijsch al genoch [gaar] in dan salmen dat sop afgieten ende nemen verius [zuur sap] ende rode wijn een goet deel, angun [ui] cleijn gesneden ende geroest [gefruit] in die boter sonder verbernen [verbranden], doet alte gader in die pot ende latet verwermen, dan neemt een half pont boter gesmouten [gesmolten] ende wel gepuseert [gezuiverd] van die sauté [zout], mer die boter en moet niet zwart zijn met gloeijende; doet dan die boter daer in, stellet [zet het] dan te smoren ende alst gesmoert is dan doet daer in suker, notepoer [nootmuskaatpoeder], grejnpoer [kardemompoeder], wat gebernt [geroosterd] broot om te bijnde [binden], ende late teen luttel dair mede smoren.10

Ingrédients pour 4 personnes

1 kg de cerf ou de biche, 1 à 2 oignons, 1 litre de vin rouge, verjus (jus de raisin immature qu'on trouve en épicerie fine, sinon du vinaigre), beurre, 200 g de beurre clarifié, 2 cuillers à soupe de sucre (selon le goût), noix de muscade, cardamome en poudre.

Procédé

  • Le cerf n'est pas mariné, mais précuit au bouillon, technique très courante au Moyen Âge pour attendrir la viande. Si vous disposez de viande de biche, il n'est pas nécessaire de passer par cette première étape qui consiste à cuire la viande ½ heure dans un bouillon de viande, à la retirer du feu, à la rincer dans de l'eau tiède, à la larder puis à la refaire bouillir jusqu'à complète cuisson avec éventuellement des feuilles de laurier.
  • Hacher finement les oignons et les faire revenir au beurre.
  • Découper la viande en morceaux, la placer dans une cocotte avec le vin, le verjus, le beurre clarifié et l'oignon.
  • Assaisonner avec le sucre, la noix de muscade et la cardamome en poudre.
  • Saler, poivrer (non précisé dans la recette).
  • Laisser mijoter environ 1h30.

Finalement, nous nous rendons compte que le hochepot au Moyen Âge n'est autre chose que de la viande cuite dans un liquide. La grande diversité des recettes ne permet pas de lui donner une définition plus précise. Dans aucun livre médiéval nous ne trouvons de trace d'un hochepot de hachis de bœuf cuit à sec avec des marrons, ni de notre hochepot gantois, composé d'une multitude de viandes et de légumes. Seul le fait de cuire dans un bouillon relie les hochepots médiévaux au nôtre.

D'où vient donc le hochepot gantois, si ce n'est d'une forme de hochepot ancien ? Nous tenterons de répondre à cette question la semaine prochaine.

Pierre Leclercq
Novembre 2010

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Pierre Leclercq est historien de la gastronomie. Avec chercheurs et artisans de Thoueris, il redécouvre et confectionne des plats anciens à l'identique.   
 

 
6 Vous trouverez le texte original avec traduction en français moderne sur le site d'Annick Englebert, de l'Université Libre de Bruxelles : http://www.diachronie.be/quatorzieme/1325-sion/index.html.
7 Idem.
8 Le Mesnagier de Paris
, éd. Georgina E. Brereton et Janet M. Ferrier, Paris, 1994, p. 648, 649.
9 On utilise du sang dans certaines recettes des livres français, surtout dans celles de Lamproie et, bien entendu, de boudin. Ces recettes circulent dans les livres inspirés par le Viandier, notamment l'hennuyer Vivendier (1425) et le flamand Coocboek de Thomas Vander Noot (1514).
10 Ria Jansen-Sieben, Johanna Maria van Winter, De Keuken van de late middeleeuwen, Een kookboel uit de Lage Landen, Amsterdam, 1998, p. 97, 98.


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