L'héritage de Freud aujourd'hui

Et la science... parlons-en

Freud1938

Quel analyste aujourd'hui oserait encore sans nuance prétendre que la psychanalyse est scientifique au sens popperien du terme vu qu'à première vue elle n'est pas falsifiable et que la réfutabilité n'est pas opératoire dans son champ ? Et pourtant, on peut apporter un certain bémol à ces assertions lorsqu'on interroge la réfutabilité éventuelle des hypothèses et des théories implicites que se forge l'analyste au fil d'une cure, de même que celle relative à la valeur des interprétations qui ont lieu en cours de séance. D'autres aspects, comme la nature hypercomplexe de l'objet d'étude dont je parlais plus haut, l'efficacité transformationnelle du processus analytique, la cohérence de l'argumentation et la validité rationnelle des énoncés métapsychologiques viennent aussi peser dans le plateau de la balance de la scientificité. L'avenir appréciera donc où ranger la psychanalyse parmi les sciences humaines, de la nature ou du savoir. Ce n'est pas si simple et ces questions sont en chantier.

Pour Freud, c'est vrai, la psychanalyse appartenait aux sciences de la nature et il s'évertuait à en fournir indices et preuves. Mais cela se passait il y a plus d'un siècle, à la fin du 19e, dans un univers marqué par le positivisme philosophique et la recherche expérimentale. Dans ce contexte-là, l'hystérie était toujours asilaire et Freud avait à convaincre la communauté scientifique de son temps du bien-fondé de ses découvertes, notamment de la réalité psychique de la névrose. Cela fut fait non sans douleur.

repos

On sait d'ailleurs quels doutes et quelles oppositions accompagnent toute évolution. On connaît bien les résistances qui ont entravé l'abandon du géocentrisme au profit de l'héliocentrisme et le sort qui fut réservé à Galilée dont la lunette ne permettait plus de nier l'évidence. Pourquoi ne pas évoquer aussi l'hypnose à laquelle on a si longtemps refusé tout crédit. Et pourtant qui nierait aujourd'hui son efficacité dans le domaine médical de l'anesthésie? Sans doute pas les Liégeois qui ont vu se développer la pratique du Dr. Faymonville qui en fait un usage quotidien. Sa technique qui consiste à hypnotiser ses patients plutôt qu'à recourir aux anesthésiants classiques procure des avantages physiologiques considérables pendant et après les interventions chirurgicales. C'est devenu là un fait d'expérience étayé par de nombreuses publications.   

En ce qui concerne la psychanalyse, ses premiers balbutiements émergeaient de la technique cathartique et de l'hypnose. Le temps s'est écoulé, le visage de la méthode a mûri, s'est modifié, d'autres modélisations psychanalytiques sont apparues avec Freud au fil de sa recherche et après Freud dans de multiples directions. Le dialogue avec les sciences a progressivement pris d'autres formes. Aujourd'hui, depuis Kandel, ce sont les neurosciences qui amorcent un mouvement vers la psychanalyse. Vont-elles apporter une nouvelle lunette, de nouveaux concepts ? Il est trop tôt pour en décider mais cela donne déjà lieu à des échanges fructueux et respectueux des champs épistémologiques différents.  Affaire à suivre.

Du passé à l'avenir, de Freud à demain...

Une réflexion s'impose quant à savoir si nous sommes confrontés à un déni d'envisager l'existence même du patrimoine analytique ou à un désir haineux d'en décapiter le père, mais force est de constater que la plupart des critiques négatives centrent leurs propos contre Freud uniquement et le plus souvent contre les premiers temps de sa théorisation comme si leurs auteurs voulaient ignorer ce que cette théorie a généré. De nombreux théoriciens ont pourtant, je viens de le mentionner, apporté des contributions estimables, fondamentales au corpus déjà acquis. Les nombreux courants, les diverses approches qui permettent d'étendre la compréhension au niveau le plus profond dans des domaines divers en conservant la spécificité de la méthode associative analytique, en témoignent.

En un siècle en effet, c'est aussi le paysage psychopathologique qui s'est modifié. La névrose a cédé du terrain au cortège émergeant des troubles psychosomatiques, des conduites addictives, des « agirs » multiples, des pathologies narcissiques qu'on rassemble globalement sous le nom d'états-limites. Cela ne signifie pas que ces nouvelles pathologies remplacent les névroses mais plutôt qu'il est aujourd'hui nécessaire d'affiner notre écoute afin de pouvoir entendre simultanément ces deux musiques. Dès lors, le modèle qui consistait initialement à s'appuyer sur les associations libres du patient pour lever en lui les résistances et lui permettre d'accéder via l'interprétation au matériel refoulé dans l'inconscient s'avère dans certains cas et /ou à certains moments insuffisant.

De fait, si le patient a subi dans son histoire des situations qui se sont avérées irreprésentables à cause de leurs charges traumatiques, il s'est constitué au niveau de sa trame psychique un trou, un vide, un blanc, selon les auteurs et les théories. Impossible alors de retrouver dans ces cas, le surgissement d'un matériel refoulé. C'est davantage au sein de la relation transfert contre-transfert qu'une solution émergera, l'analysant faisant vivre à son analyste le vécu resté irreprésenté.  

Les outils que constituent le transfert et le contre-transfert se sont donc particulièrement enrichis de compréhensions nouvelles et la relation analytique a occupé une place croissante dans le développement du processus transformationnel de l'analyse. Les recherches actuelles dans le domaine psychosomatique sont aussi pleines de promesses pour mieux comprendre les soubassements du fonctionnement psychique. 

Les champs d'exploration et d'application de la psychanalyse se sont étendus pour toucher tous les âges de la vie mais aussi le couple, la famille classique, monoparentale ou homoparentale et le groupe. Les techniques se sont multipliées : à côté de la cure classique, il y a les analyses en face à face, les psychodrames, les approches institutionnelles. Enfin, la psychanalyse sert de modèle à de multiples autres approches psychodynamiques et parmi celles-ci, à toutes les thérapies d'inspiration analytique.

green

Malgré les soubresauts, attaques et les secousses qui l'atteignent, l'héritage freudien reste donc fabuleux et la source est loin de se tarir. L'avenir réserve de nouvelles découvertes mais il importe de toujours garder le fil critique et de questionner les obstacles à une meilleure efficacité thérapeutique. Ainsi, le dernier livre d'André Green Illusions et désillusions du travail psychanalytique, poursuit la tradition freudienne et traite avec réalisme des déceptions du travail analytique. Si le processus analytique est capable d'apporter soin et guérison, s'il est en tout cas de nature à transformer profondément un fonctionnement psychique, il peut y avoir néanmoins des parcours incomplets, interrompus voire décevants. La destructivité liée à la pulsion de mort, les réactions thérapeutiques négatives, l'analyse insuffisante de l'analyste, les mauvaises indications restent autant d'écueils à réfléchir et à élaborer. Les limites de l'analyse et de l'analyste sont aussi à reconnaître.

Je me demandais si j'allais ouvrir un dernier paragraphe pour traiter du lien qui unissait Freud à sa belle sœur Minna. Pardonnez-moi mais j'y renonce car définitivement, je ne pense pas que cela change quoi que ce soit à l'héritage de Freud aujourd'hui. 

 

Arlette Lecoq
Novembre 2010

 

icone crayon

Arlette Lecoq enseigne la psychanalyse à l'Université de Liège. Elle  est psychiatre, psychanalyste à la Société Belge de Psychanalyse et membre de l'IPA.

 

Page : previous 1 2 3