Japon et littérature occidentale

Amélie Nothomb et Jean-Philippe Toussaint face au Japon

Le Pays du Soleil levant traverse les œuvres d'Amélie Nothomb, qui y est née et où elle a passé sa prime enfance, et de Jean-Philippe Toussaint, qui y a séjourné à de nombreuses reprises. Il constitue une matrice autobiographique chez la première, une présence fictionnelle chez le second.

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Fille de l'ambassadeur de Belgique au Japon, Amélie Nothomb naît le 13 août 1967 à Kobe. Elle passe ses cinq premières années dans ce pays auquel elle est profondément attachée, avant d'y retourner au seuil de l'âge adulte, un diplôme de philologie obtenu à l'ULB en poche. Elle veut y travailler, voire même y vivre. Elle y restera finalement deux ans, échouant dans une entreprise et partageant sa vie avec un jeune Japonais. De ces « expériences », on trouve la trace dans trois de ses livres.

Métaphysique des tubes (2000), où elle évoque ses trois premières années de vie, permet de comprendre son attachement à cette terre. Le « tube » qu'elle est à sa naissance, surnommée « la Plante » car, comme un légume, elle ne bouge ni ne pleure, acquiert, à deux ans et demi, par la magie d'un bâton de chocolat blanc offert par sa grand-mère, « une identité » et « une mémoire ». À partir de février 1970, elle se souvient de tout. Cette « deuxième naissance » marque une coupure dans son récit : ce n'est plus sur les témoignages de ses parents qu'elle se base désormais mais sur sa propre mémoire. Le Japon apparaît en filigrane dans ce récit plein d'humour où il est question des multiples apprentissages de son héroïne — ses premiers mots, l'idée de la mort, les fleurs, Jésus, la « lecture » de Tintin, etc. Une fillette qui, dans cette province du Kansai, dans les bras de sa jeune et douce gouvernante, Nishio-san, au cœur d'un « jardin nippon », se pense Japonaise. C'est pourquoi son univers « s'effondre » lorsqu'elle apprend qu'elle ne restera pas éternellement dans ce pays, convaincue de mourir si elle doit le quitter.

Ce qui ne sera évidemment pas le cas même si la douleur est bien là. « À 5 ans, j'ai vécu cet arrachement comme une catastrophe, un traumatisme, se souvient-elle. Toute ma jeunesse, j'ai répété que j'y retournerais un jour pour y passer ma vie. À 21 ans, j'ai pris un allez simple pour Tokyo. Même si quitter ma sœur a été un déchirement. On hurlait toutes les deux de souffrance. Je me demandais comment je pouvais faire une chose pareille mais c'était vraiment une nécessité, j'avais besoin de retrouver la terre de mes premiers souvenirs.»

Amélie va y passer vingt-quatre mois racontés dans deux romans. Stupeur et tremblements, en 1999, probablement son roman le plus connu notamment grâce au film qui en a été tiré, évoque la seconde partie de ce séjour. Début 1990, à 22 ans, elle est engagée par une grande firme japonaise, convaincue d'avoir trouvé sa voie. Ce sera la douche froide. Multipliant les erreurs et maladresses, « Amélie-san » dégringole les échelons un à un jusqu'à devenir surveillante des toilettes. Arrivé à son terme, son contrat n'est évidemment pas reconduit. Durant cette année, qui la verra notamment escalader le Mont Fuji, la jeune femme a vécu avec un Japonais, mais on ne l'apprendra qu'en 2007, lors de la parution de Ni d'Eve, ni d'Adam.

En janvier 1989, elle revient dans son pays natal après seize ans d'absence. Afin d'en apprendre la langue, elle décide d'enseigner le français à des autochtones. Son premier - et unique - élève, Rinri, devient aussi son petit ami. Ils vont vivre près de deux ans ensemble. Jusqu'à la fatidique demande en mariage qui, contemporaine de son exclusion du monde du travail, l'amène à renoncer définitivement à son rêve nippon. « Où se sent-on plus étranger qu'au Japon ?, s'interroge la romancière. Même, pour moi qui y suis née, ce pays reste, et c'est pour cela que je l'aime tant, d'une étrangeté phénoménale. Et pourtant, longtemps, je n'ai jamais voulu être d'une autre nationalité que japonaise. J'ai d'ailleurs été très loin pour le prouver. Seuls ont tenté de m'en décourager les Japonais de l'entreprise et mes « beaux-parents » ».

Le 14 janvier 1991, revenue en Europe, elle commence à écrire Hygiène de l'Assassin, son premier roman publié l'année suivante. « L'écriture est, chez moi, antérieure à ce séjour, mais c'est au Japon que le phénomène a pris toute son ampleur, commente-t-elle. Je ne songeais pas du tout à publier, je n'imaginais même pas devenir écrivain un jour. Il a fallu l'échec japonais pour que je commence à y penser. Hygiène de l'assassin, mon premier livre écrit à mon retour du Japon, est en fait mon onzième. Mais c'est lui que j'ai eu envie de montrer. » Sa traduction nippone en 1996 est, pour elle, l'occasion de retrouver une ultime fois une île à laquelle elle n'est plus désormais liée que par « le cœur et les souvenirs ». Elle y croise Rinri, mariée à une Française, qui lui donne « l'étreinte fraternelle du samouraï ».

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