Comment la monarchie japonaise a survécu à la défaite

Kido avait conseillé à son maître d'abdiquer dès le traité de paix, pour bien marquer que la page était tournée. Mais la signature du traité de paix définitif à San Francisco le 8 septembre 1951 n'entraîna aucun changement. Signe du retour du Japon à des relations internationales normales, Akihito, qui avait obtenu le statut officiel de prince héritier en novembre 1952 et dont l'éducation avait été confiée à partir de 1946 à la pédagogue quaker Elizabeth Gray Vining, sera chargé de représenter son pays aux cérémonies de couronnement d'Elizabeth II en 1953, et se tirera avec élégance de cette mission difficile dans un pays resté très marqué par les souvenirs de la guerre et très hostile à son père. Une nouvelle page sera tournée quand Akihito rencontrera sur un court de tennis Michiko Shoda, issue d'une famille très riche mais n'appartenant pas aux castes traditionnelles où un futur empereur se devait de recruter son épouse. Les plus conservateurs des Japonais frémirent : « le Trône se voit arracher ses derniers lambeaux de mystère : l'épouse d'un empereur sera l'une des nôtres ». L'annonce des fiançailles en novembre 1958, les quatre mois de préparatifs vont braquer l'attention des médias sur la famille impériale et leur surenchère, phénomène bien connu, remettra celle-ci à l'avant-plan. Toutefois, chose impensable avant 1946, lors du mariage à Tokyo en 1959, un jeune contestataire tentera de s'en prendre physiquement au couple qui traversait la foule en voiture découverte... Les impénétrables mystères du palais subsisteront et il est bien connu que malgré ses trois enfants la princesse puis impératrice Michiko payera de nombreuses dépressions nerveuses le fardeau de combiner modernité extérieure et protocole intérieur.

empereur

La controverse sur le rôle réel d'Hirohito n'a jamais cessé. Les anciens prisonniers de guerre et détenus civils qui ont connu les atrocités des camps d'internement continuent à haïr « Hirohitler ». Des incidents marquent son voyage en Europe en septembre 1971, ses funérailles en 1989, la visite officielle de son successeur Akihito en Grande-Bretagne en mai 1998. Si l'on peut sourire du verdict de décembre 2001, bien après sa mort, du Tribunal International des Femmes  le déclarant personnellement coupable dans l'affaire des « femmes de confort » chinoises et coréennes des troupes impériales, la responsabilité de l'empereur dans la guerre et les aspects sanglants de sa conduite est affirmée par l'historien Inoue Kiyoshi ou le maire de Nagasaki Motoshima Hitoshi, objet d'un attentat nationaliste pour ses propos en janvier 1990.

Faut-il laisser du temps au temps, ou accepter qu'il y a dans les rapports entre l'empereur et son peuple quelque chose d'immuable, d'inexplicable par les seuls canons occidentaux ? Un protocole venu de la nuit des temps et inséparable des origines mystiques de la dynastie marqua les funérailles de l'Empereur Shôwa, décédé le 7 janvier 1989 à près de 88 ans. Elles ont été célébrées en suivant toutes les prescriptions shintoïstes, mais à l'écart de la présence des représentants étrangers. Le couronnement du nouveau Heisei Tenno (Akihito) se déroula du 22 au 25 novembre 1990 selon le rite de communion mystique daijosai dans les jardins du palais impérial, et non à Kyoto. Le souverain a une réputation de libéral, de passionné de sciences mais reste en même temps marqué plus qu'on ne le croit par la conviction de la continuité des temps et de son rôle sacerdotal. N'a-t-il pas publié en 1970, après sa participation à une cérémonie shintoïste, un haiku qui nous servira de conclusion :

Parcourant la veranda
Éclairée par des torches
Je me trouve en train de penser
Aux temps anciens

 

 

Catherine Lanneau et  Francis Balace
Octobre 2010

 

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Catherine Lanneau  enseigne l'histoire de la Belgique et de ses relations internationales. Ses principales recherches portent sur l’histoire politique de la Belgique et de l'Europe au 20e siècle.

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Francis Balace a enseigné l'histoire contemporaine à l'ULg. Ses principales recherches portent sur l'histoire militaire et sur les questions diplomatiques et dynastiques.

 

 

Pour en savoir plus 

STORRY, Richard, Histoire du Japon Moderne, Paris, Fayard, 1963 ;
MARTIN, Peter, The Chrysanthemum Throne. A History of the Emperors of Japan,  Londres, Sutton, 1997;
LARGE, Stephen S., Emperor Hirtohito and Showa Japan, Londres, Routledge, 1992 ;
TITUS, David, Palace and Politics in Prewar Japan, New York, Columbia University Press, 1974 ;
VICTORIA, Brian, Le Zen en guerre 1868-1945, Paris, Le Seuil, 2001;
SEIZELET, Eric, Monarchie et démocratie dans le Japon d'après-guerre,  Paris, Maisonneuve & Larose, 1990 ;
MANCHESTER, William, MacArthur. Un César Américain (1880-1964), Paris, Laffont, 1981 ;
BROQUET, Hervé, LANNEAU, Catherine et PETERMANN, Simon, éds., Les 100 discours qui ont marqué le XXe siècle, Bruxelles, A. Versaille, 2008.

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