Comment la monarchie japonaise a survécu à la défaite

Cette politique de mansuétude envers le souverain reposait aussi sur une initiative du Tenno, courageuse ou machiavélique selon les opinions, prise fin septembre 1945. Ayant délibérément installé le QG du SCAP dans un gros immeuble – le Dai Ichi – situé face aux douves qui entourent le palais impérial, MacArthur avait soigneusement évité de sommer Hirohito de lui rendre visite et attendait que l'initiative vienne du Tenno lui-même. À ses collaborateurs, le SCAP n'avait pas dissimulé qu'il avait l'intention de le traiter assez froidement, notamment s'il essayait  de réclamer l'indulgence des vainqueurs et de se dissocier du sort futur des « fauteurs de guerre ». Le 27 septembre 1945, Shigeru Yoshida, ministre des Affaires étrangères, fait savoir à l'état-major du SCAP que son souverain désirait le rencontrer. MacArthur refusait de se rendre au palais mais se rendait compte qu'obliger le souverain à se rendre au QG serait inutilement humiliant. Il fixe les conditions : entrevue d'une demi-heure dans la soirée, en tête à tête avec un interprète, à l'ambassade américaine et prise de photographies de presse.

McArthur

Le Tenno accepte et se rend à l'entrevue en jaquette, pantalon rayé et haut-de-forme à la main, ce qui lui donne l'allure d'un employé de banque endimanché. Le général est en tenue tropicale, bras de chemise et col ouvert, les pouces dans la ceinture. Les flashes crépitent, la photo est historique, largement répandue sur ordre du SCAP dans tout le Japon et tellement déconcertante pour l'opinion publique, habituée aux portraits officiels martiaux, uniforme et cheval blanc,  que le bruit courra qu'il s'agit d'un montage. Puis elle provoquera le choc en retour d'un élan de sympathie pour l'empereur qui y témoignait d'une dignité inébranlable. Accueilli avec une poignée de mains énergique et l'offre d'une cigarette acceptée d'une main tremblante, le Tenno prend l'initiative de déclarer d'emblée « Je viens à vous, Général MacArthur, pour m'offrir à la justice des puissances que vous représentez, car moi seul doit porter la responsabilité des décisions militaires et politiques, des actes de mon peuple dans la conduite de la guerre ». Nul ne saura jamais si Hirohito savait à ce moment qu'il ne risquait rien et que malgré les vives objections des Britanniques, des Australiens et des Soviétiques son nom avait déjà été rayé de facto de la liste des futurs inculpés. Le résultat est de toucher MacArthur, désormais convaincu de la sincérité, de l'héroïsme même de l'acte le plus brave de sa vie commis spontanément par celui qu'il appellera « le premier gentleman du Japon ».

Ce dernier allait « dans le sens de l'histoire », s'adaptait en attendant des jours meilleurs qui confirmeraient une nouvelle fois la symbiose étroite entre monarchie et le kokutaï, que l'on pouvait maintenant traduire par japonitude dans le sens de « conscience nationale japonaise ». Un des maîtres à penser religieux, Asahina Sôgen (1891-1979) va fonder l'Association pour la préservation du Japon (Nihon o mamora kai)  et dans un livre publié en 1978 encore et qui glisse rapidement sur la période de guerre, il va exalter le geste posé par l'Empereur en allant s'offrir comme victime propitiatoire, ce qui a amené le SCAP à traiter le Japon avec une relative indulgence et à maintenir son intégrité en tant que pays et nation : « La dette de reconnaissance envers l'Empereur est si précieuse qu'il est impossible de la rembourser [...] Au même titre que tout ce dont nous jouissons aujourd'hui, notre prospérité doit tout à la bienveillance sans ego et sans calcul de l'Empereur ». Un haiku publié dans un journal de Tokyo au lendemain de l'entrevue avec MacArthur et que l'on attribuait à Hirohito ne disait-il pas :

« Le pin est brave
Qui ne change pas de couleur
Même sous la neige.
Les hommes aussi,
Comme cela doit être. »

Ce que l'on pourrait traduire par :  Même sous le poids de la neige (les forces d'occupation), le peuple japonais ne doit pas perdre ses caractéristiques nationales. Un nouveau tournant est pris quelques mois plus tard, quand pour le Nouvel An 1946, l'Empereur déclarera renoncer à toute prétention à la divinité :

« Les liens entre nous et notre peuple ont toujours reposé sur une confiance et une affection mutuelle. Ils ne dépendent pas de simples légendes et mythes. Ils ne proviennent pas de la conception fausse selon laquelle l'Empereur est divin, le peuple japonais supérieur aux autres races et destiné à gouverner le monde ».

Page : précédente 1 2 3 4 5 6 7 8 suivante