Comment la monarchie japonaise a survécu à la défaite

Des pourparlers secrets avaient déjà eu lieu en Suisse et il semble bien que les Américains avaient été rassurants quant au sort futur de l'Empereur. En juin 1945, ils se poursuivent à Rome  entre Mgr.Vagnozzi, l'ambassadeur nippon Harada Ken, l'abbé Benedict Tomizawa et des émissaires de Washington. Le cabinet de Tokyo préfère chercher une médiation russe et Molotov va mener en bateau l'ambassadeur Sato, auquel il cache que l'URSS a promis d'entrer en guerre contre le Japon trois mois après la capitulation de l'Allemagne. De Potsdam, le 26 juillet 1945, le Président Truman et le Premier britannique annoncent, avec l'aval de Tchiang-Kaï-Tchek, qu'ils exigent la reddition « à défaut de quoi, le Japon devrait s'attendre à une prompte et totale destruction ».  Dès la mi-juillet 1945, la majorité des ministres est convaincue que le trône est la seule institution qui pourrait « peut-être » survivre à une défaite totale, pour autant que la cessation des hostilités puisse avoir lieu avant l'invasion de l'archipel nippon. Obtenir des Alliés une garantie sur ce point devient une obsession primordiale, car une invasion sèmerait dans la population des idées révolutionnaires qui balayeraient la monarchie. Prêts à sacrifier en demandant la paix leur propre vie (que ce soit en tombant sous les coups de fanatiques jusqu'au-boutistes ou en étant traduits devant un tribunal allié comme fauteurs de guerre), ils se résigneraient même à la formule d'unconditional surrender de la  Déclaration de Potsdam si les Alliés acceptaient au préalable l'exception touchant l'Empereur, car à leurs yeux le Japon ne peut avoir d'existence sans lui.

hiroshima

On connaît la suite : bombe atomique sur Hiroshima le 6 août, attaque soviétique déclenchée le 8 en Mandchourie, bombe sur Nagasaki le 9. Dans la nuit du 9 au 10, Hirohito préside une Conférence Impériale et, tout en déplorant la possibilité de voir traduire en justice comme criminels de guerre des sujets fidèles qui l'ont loyalement servi, il conclut à l'acceptation de la Déclaration de Potsdam, moyennant la réserve sur le sort de la monarchie suggérée par le ministre des Affaires étrangères Togo. Via Berne et Stockholm, l'acceptation de la Déclaration de Potsdam est transmise aux Alliés, étant bien entendu qu'elle n'entraînerait « aucune exigence pouvant porter préjudice aux prérogatives de Sa Majesté en tant que Souverain ».

La réponse, rédigée par le Secrétaire d'État américain Byrnes, évite toute promesse formelle dans ce sens et se borne à déclarer que, une fois la capitulation signée, « l'autorité de l'Empereur et celle du Gouvernement sur les questions d'état dépendraient du Commandant Suprême des Puissances Alliées (SCAP) qui prendrait telles mesures qu'il estimerait appropriées pour rendre effective les clauses de la capitulation ». La forme future du gouvernement nippon dépendrait « de la volonté librement exprimée du peuple japonais ». Togo et Matsumoto Shunichi se raccrochent à leur propre interprétation du message de Byrnes : les Alliés renonceraient à abolir la monarchie à condition que le Japon se rende au plus tôt. Ils suggèrent aussi d'éviter de demander toute précision nouvelle pour ne pas irriter les Alliés.

capitulation

Pendant la plus grande partie du 13 août, un débat agité se passe au Conseil Suprême de la Guerre, puis au sein du Cabinet sans réussir à fléchir les deux chefs d'état-major et le ministre de la Guerre. Le 14, l'aviation américaine lance sur Tokyo des milliers de tracts reproduisant la correspondance échangée avec les Alliés. Dans une nouvelle Conférence Impériale, Hirohito tranche : il faut effectuer la reddition pour éviter la destruction totale, en acceptant la Déclaration de Potsdam et celle de Byrnes. Sa volonté finit par convaincre les militaires et à minuit, Hirohito enregistre sur disque au palais le prescrit impérial qui doit être, procédé inusité dans un pays où les habitants n'ont jamais entendu sa voix, diffusé le 15 août à midi comme Kodo sempu (propagation de la volonté impériale).

C'est un message étrange. D'une part, le Tenno continue à poser le Japon en libérateur des peuples d'Asie auxquels il présente même des excuses pour ne pas avoir été victorieux (« C'est en raison de Notre sincère désir d'assurer la sauvegarde du Japon et la stabilisation du Sud-Est asiatique que Nous avons déclaré la guerre à l'Amérique et à la Grande-Bretagne, car la pensée d'empiéter sur la souveraineté d'autres nations ou de chercher à agrandir notre territoire était bien loin de Nous »), rend hommage au courage de ses soldats et marins restés au fond invaincus (« la guerre a évolué mais pas immanquablement à l'avantage du Japon ») et dénonce « la bombe nouvelle d'une extrême cruauté » envers les civils innocents. La conclusion couvre de l'autorité et de l'exemple impériaux la reddition et l'attitude future des Japonais:

« Toutefois, devant les durs décrets du temps et du sort, Nous avons décidé d'ouvrir aux générations à venir la voie à une ère de paix grandiose en acceptant (endurant) ce qu'on ne saurait accepter (endurer) et en supportant l'insupportable. »

Page : précédente 1 2 3 4 5 6 7 8 suivante