Comment la monarchie japonaise a survécu à la défaite
Hirohito2

Yoshihito étant finalement allé rejoindre ses ancêtres le jour de Noël 1926, Hirohito va devenir le Shôwa Tenno, c'est-à-dire l'Empereur de l'ère de la Paix Éclairée, formule qui semble malencontreuse quand on connaît la suite de son règne. Même s'il était handicapé par sa timidité, sa myopie, une apparence chétive voir un peu falote, il était incontestablement intelligent, voire retors, mais il allait être bientôt dépassé par ses différents premiers ministres et surtout les chefs d'état-major de l'armée impériale, d'autant plus que les retombées de la crise mondiale de 1929 avaient très lourdement frappé l'économie japonaise. Parallèlement, au sein de la fonction publique, se développe une fronde contre le système parlementaire et les partis, accusés d'incurie au mieux, de corruption souvent. De 1927 à 1930 fermente chez les jeunes officiers et fonctionnaires l'idée d'une Restauration Shôwa, copiée sur l'exemple de la Restauration Meiji mais adaptée à la situation du temps. De même que Mutsuhito avait obligé les grands féodaux à lui « restaurer » son pouvoir et à restituer à l'État leurs propriétés foncières, il fallait que le nouveau Tenno force les partis politiques à lui rendre tous les pouvoirs et les capitalistes responsables de la crise à « restituer » leurs richesses. Un idéologue, Kita Ikki,  formule cette pensée à la fois nationaliste et anticapitaliste, parallèle au national-socialisme, et visant à créer un « Empire révolutionnaire du Japon », qui « régénérerait » ensuite toute l'Asie, sous la conduite de l'Empereur suprême qui serait lui-même sous la protection et la caution des seules forces armées.

Arrivé légalement au pouvoir, le général-politicien Tanaka Güchi avait envoyé des troupes défendre en Chine les intérêts nippons face à l'avance du Kuo-Min-Tang nationaliste en Mandchourie, au Kwantoung et au Chantung. Agissant sans ordre, les services secrets japonais font assassiner le « seigneur de la guerre » chinois Tchang-Tso-Lin, dont la mort doit être le signal d'un coup d'état militaire. Tanaka essaie d'étouffer l'affaire puis est bien obligé d'avouer à l'empereur qu'il lui a menti pendant plus d'un an. D'où une grande colère impériale, premier signe de ses velléités d'indépendance :« l'intervention de l'armée dans les affaires intérieures et étrangères, de même que ses intentions, constituent autant d'éléments que, dans l'intérêt du pays, on ne peut envisager sans appréhension ».

Trop tard, le Japon entre en 1931 dans la période appelée kurai tanima, la « vallée noire». Agissant une nouvelle fois sans ordre, les cadres de l'armée du Kwantung provoquent « l'incident mandchou » qui leur permet de s'emparer de Moukden et bientôt de toute la Mandchourie qu'ils transforment en état-croupion du Mandchoukouo, puis de débarquer à Shanghaï. Deux anciens ministres modérés du Cabinet de Tokyo sont assassinés en mai 1932 par de jeunes officiers fanatiques membres de la Ligue du Sang.  L'homme le plus puissant du Japon est à cette époque le général Araki, ministre de la guerre, qui passe pour un des chefs du Kodo-Ha  (École de la Voie Impériale) qui, bien que refusant un coup d'état pour réaliser ses vues, est obsédé par le danger d'une guerre avec l'URSS et qui veut agir en Mandchourie à titre préventif. Les théories Kodo-Ha,  qui sortent de l'état-major mais fanatisent de jeunes officiers, règnent de 1932 à 1934 environ. Une autre tendance, c'est le Tosei-Ha (École du Contrôle) qui veut faire de toute la Chine et non de la seule Mandchourie le terrain de l'expansion japonaise, en attendant de formuler à la fin des années 30 la théorie du Dai-Tôa kyöeiken (Sphère de Co-Prospérité de la Grande Asie de l'Est) voulant fédérer autour du Japon « libérateur » la Chine, l'Indonésie, la Thaïlande, l'Indochine et les Philippines au risque de provoquer un affrontement inévitable avec les États-Unis et les puissances coloniales occidentales.

26février

À partir de 1934, le Kodo-Ha perd du terrain à cause de la retraite d'Araki. Le général Nagata, rallié à Tosei-Ha, intriguait contre son collègue Mazaki, adepte du Kodo-Ha et de la carte mandchoue, quand il est assassiné par un colonel s'estimant victime d'un passe-droit. Les jeunes officiers de la 1re Division entrent en fermentation, se mettent en liaison avec Kita Ikki le théoricien de la « Restauration Shôwa ». Dans la nuit du 25 février 1936, les mutins (dont aucun ne dépasse le grade de capitaine et qui ne disposent que de 1500 soldats) assassinent à domicile toute une série de personnalités civiles et militaires importantes, affirmant que tous les maux du Japon viennent de ces « vieillards », des trusts et des partis politiques et que, loin d'être des révolutionnaires ils agissent en fidèles sujets de l'empereur. Ce dernier, deuxième geste d'indépendance se distancie, tance vigoureusement les généraux de tendance Kodo-Ha, qui laissent prudemment tomber les mutins. Ils comptaient profiter de leur procès pour exposer leurs vues mais l'empereur exige une procédure rapide et secrète qui envoie au poteau treize officiers, Kita Ikki et le colonel assassin de Nagata. Seule concession : les pelotons d'exécution sont composés d'officiers ! Les condamnés, persistant dans leurs rêves,  meurent en criant « Vive l'empereur ! ».

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