Les laques et le jeu de l'encens

Le jeu de l'encens

D'après une tradition japonaise, l'usage de l'encens est né d'un événement fortuit : vers 595 de notre ère, une branche de bois d'aloes s'est échouée sur une plage de l'île d'Awaji ; les habitants du village tout proche ayant remarqué l'odeur délicate du bois, il fut présenté à la cour, où ses senteurs déclenchèrent les passions.

À l'origine, l'usage de l'encens va se limiter au domaine religieux et en particulier aux cérémonies bouddhistes, où il est utilisé comme offrande ou pour se purifier. Par la suite, il va s'étendre à la noblesse de cour qui l'utilise entre autres pour parfumer ses vêtements. Comme l'illustrent bien de nombreux passages du célèbre roman « Le Dit du Genji » (Genji Monogatari), le choix de fragrances délicates était le signe d'une personne raffinée et cultivée. Une sorte de jeu va alors apparaître, au cours duquel les invités doivent identifier des odeurs précises.

Durant l'époque Muromachi (1336-1573), ce jeu informel va connaître les mêmes mutations que la cérémonie du thé ou l'art de l'arrangement floral (ikebana) et se voir codifier de manière stricte. La voie de l'encens, kodo, est née.

Kodo-1red
pratiquante de la cérémonie de l'encens

Le principe du jeu, appelé kumiko, est simple : les participants se font passer plusieurs petits brûleurs sur lesquels se consume délicatement un minuscule fragment de bois aromatique qu'ils doivent sentir et ensuite commenter voire identifier l'origine des senteurs. Respirer les effluves se dit en japonais "ko o kiku", c'est-à-dire "écouter l'encens". Une variante du jeu est le genjiko, au cours duquel les invités doivent reconnaître les odeurs identiques et celles qui sont différentes ; les résultats se notent à l'aide de symboles qui évoquent les chapitres du Genji Monogatari.

Kodo-2red
set du jeu de l'encens, époque d'Edo, décor en maki-e
 
Kodo-3red
Ouvrage lié au genjiko ; les symboles permettent de donner la réponse du jeu
(ici, le 2e et 3e encens étaient identiques, idem pour le 2e et le 4e et le 5e était différent des deux autres)
tout en évoquant des épisodes du roman
 
À l'inverse de la cérémonie du thé, toujours très populaire au Japon aujourd'hui, le kodo est désormais beaucoup plus confidentiel. Cependant, l'encens continue d'occuper une place importante dans les rituels bouddhistes et s'est même invité dans les maisons, qu'il parfume ou protège des insectes.
 

Édith Culot
Octobre 2010

icone crayon

Édith Culot est historienne de l'art.  Ses principales recherches portent sur les laques japonaises et en particulier celles utilisées dans la cérémonie de l'encens. Elle assure aussi le secrétariat du Centre d'Études Japonaises de l'ULg.

 
 

Page : précédente 1 2