Manga : codes et scénarios entre fiction et réalité

Aujourd'hui, une partie de la jeunesse occidentale est capable de vous expliquer pourquoi il y a des casiers à l'entrée de chaque lycée au Japon, ce qu'est l'ijime ou encore pourquoi il ne faut pas planter ses baguettes dans son bol de riz. Pourquoi ? Parce qu'ils ont lu des manga ! Ces bandes dessinées japonaises, qui furent tant décriées à leur arrivée, occupent maintenant une part importante du marché de la bande dessinée dans nos régions, en particulier en Europe francophone. L'image du Japon qu'elles véhiculent est-elle proche de la réalité ou fortement romancée ?

La jungle du manga

Pour un néophyte, il est quasiment impossible de s'y retrouver dans la profusion de titres et de styles proposés au lecteur.  Au Japon, la publication des manga représente près de 3,55 milliards d'euros (en 2007). Il y a des manga pour tous les publics : enfants, adolescents, jeunes adultes, femmes au foyer, salarymen... Chaque catégorie possède ses propres codes, tant esthétiques que scénaristiques, qui permettent au public de se trouver en terrain connu. Je ne vais ici en citer que les plus importants et souligner en quelques mots leurs spécificités.

Les yōnen manga

pokemon

Destinés aux plus petits, les yōnen manga ont comme caractéristique de présenter des graphismes d'une grande simplicité et des récits courts à la structure récurrente. De grands classiques tels Doraemon et Pokemon témoignent également du succès que remportent toujours les animaux auprès du jeune public, que l'animal en question soit un chat-robot du 23e siècle ou un « pocket monster ». L'humour est toujours l'élément dominant de ces récits, bien que des messages moralisateurs concluent très souvent l'intrigue. Cette morale se doit d'être d'un abord facile pour le lecteur. 

Les couleurs, celles des couvertures notamment, sont toujours vives et contrastées mais, dans les versions originales en noir et blanc, le dessinateur ne s'embarrasse généralement pas de grisés ou d'ombrages, préférant un dessin linéaire.

Contrairement à ce que le lecteur européen pourrait croire en arpentant les rayons de sa librairie spécialisée, le nombre de yōnen manga parus est très impressionnant. Les jeunes Japonais sont en effet happés très tôt par le milieu de la bande dessinée, loisir assez bon marché qui leur permet d'oublier un instant la rudesse de leur vie scolaire. Ils grandiront avec le manga et seront plus tard de grands consommateurs, d'où la nécessité pour les grandes maisons d'édition de veiller avec un soin tout particulier à la qualité des produits proposés à la jeune génération.

 

Les shōnen manga

Les shōnen manga, ou manga pour garçons, se distinguent essentiellement des shōjo manga, ou manga pour filles, par les thèmes abordés et surtout leur traitement graphique. Il s'agit de la production la plus importante de toute l'industrie de la bande dessinée au Japon, ce qui explique notamment la diversité des sujets traités. Leur version pour adultes, les seinen manga, présentent les mêmes thématiques et un traitement graphique similaire mais les histoires sont plus mûres, prenant comme héros principal non plus un jeune garçon mais un adulte, salaryman par exemple.

Samouraï, jeunes délinquants, sportifs et robos

naruto
samura

Les premières bandes dessinées pour garçons apparurent vers 1920 et traitaient presque exclusivement d'aventures de samouraï. L'histoire nationale et tout particulièrement le Japon féodal étaient la source d'inspiration principale. Ces jidaimono se développèrent considérablement durant la Seconde Guerre mondiale, utilisées par le gouvernement militariste à des fins de propagande. Les règles du Bushidō (code d'honneur du samouraï), que le lecteur retrouvait dans ces séries, valorisent en effet l'obéissance à son seigneur, le respect des traditions et la loyauté à l'Empereur. Ils restent un thème apprécié aujourd'hui : L'habitant de l'infini de Hiroaki Samura, et d'une certaine manière le célèbre Naruto de Masashi Kishimoto est également apparenté à ce genre.

nakazawa

Attention cependant de ne pas confondre ces jidaimono avec des bandes dessinées mettant en scène des conflits récents : au Japon, tout ce qui touche de près ou de loin à la Seconde Guerre mondiale est toujours tabou. Excepté quelques séries-cultes comme Hadashi no Gen de Kenji Nakazawa (où il narre de manière autobiographique le bombardement américain sur Hiroshima - image ci-contre), les auteurs figurent très rarement la réalité crue et dure de la guerre moderne, préférant l'idéalisme du samouraï japonais.

« Dignes » héritiers du samouraï, les yakuza (membre de la mafia japonaise) perpétuent des notions de bravoure, d'obéissance et de respect qui se retrouvent dans des manga prenant pour cadre la vie nocturne et les milieux interlopes des grandes villes. Ces séries s'apparentent en fait à des séries policières occidentales, si ce n'est que le lecteur passe de l'autre côté de la barrière en accompagnant les tribulations de ces « crapules » qui ont de l'honneur. Golgo13 de Takao Saito fut le premier grand succès de ce genre, qui se perpétue encore aujourd'hui.

Dans la même veine, la bande dessinée japonaise voit aussi fleurir des histoires autour de jeunes adolescents déboussolés (GTO de Torhu Fujizawa), qui se tournent vers la délinquance faute de mieux. Trahissant le mal-être de la société japonaise contemporaine, ces manga sombres et violents comportent généralement des moments d'optimisme rafraîchissant, cherchant à nous présenter ces jeunes furio comme des enfants n'attendant qu'un coup de pouce pour revenir dans le droit chemin. Ces séries de « school-gang », comme elles sont appelées outre-Atlantique, sont très souvent couplées à un autre genre majeur, celui du manga sportif.

 

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