Manga : codes et scénarios entre fiction et réalité
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Couleurs tendres, fioritures et physiques occidentaux

Graphiquement, le shōjo manga est très différent de son confrère masculin. Les couvertures en couleurs à elles seules permettent aisément de les distinguer : aux couleurs primaires des shōnen répondent les roses fondants et les pastels des shōjo.

Le dessin est très détaillé en ce qui concerne les costumes et les décors. De nombreuses illustrations en pleine page autorisent les dessinatrices à laisser libre cours à leur goût pour les fioritures ornementales. Les fonds de page et les marges sont souvent envahis par des éléments floraux ou décoratifs, voire par la chevelure ondoyante de l'héroïne.

Ci-contre : «La rose de Versailles» de Riyoko Ikeda

Les visages, souvent présentés en gros plan pour accentuer l'expressivité, sont cependant assez stéréotypés. Un seul élément saillant : les yeux. Larges et démesurés, ils sont souvent ponctués d'une étoile près de la pupille. Ce trait est commun aux personnages féminins et masculins et n'existe que pour des raisons évidentes de lisibilité des sentiments intérieurs. Il est cependant intéressant de remarquer que, dans le cas des yeux mais aussi des cheveux, les dessinatrices ne figurent jamais des caractéristiques asiatiques, yeux étirés et chevelure noire et lisse. Au contraire, l'auteur va concrétiser le fantasme de milliers de petites Japonaises qui rêvent de grands yeux bleus et de beaux cheveux blonds bouclés. De même, les principaux intervenants masculins sont toujours minces et particulièrement grands, qualités recherchées par les Japonaises chez leurs petits amis.

La structure de construction de la page est toujours beaucoup plus éclatée que dans les shōnen manga. Les fonds blancs et ornés dominent, avec des vignettes aux formats très irréguliers. Cette décomposition peut d'ailleurs créer des difficultés de lecture pour qui n'y est pas préparé.

Une règle essentielle domine toute cette production et la résume à elle seule : tous les personnages doivent être beaux et tous les thèmes doivent être abordés avec délicatesse.

 

Et les autres

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Il est important de souligner que les barrières entre ces catégories ne sont bien sûr pas parfaitement étanches et imperméables. Nombreux sont les auteurs qui vont transcender les genres et toucher un lectorat à la fois masculin et féminin ; One Piece de Eiichiro Oda ou Nana de Ai Yazawa sont parmi ces œuvres d'exception. 

Citons aussi le hentai manga,  manga érotique, qui reprend par parodie des thèmes issus aussi bien du shojo que du shōnen. Il est amusant de noter le goût immodéré des Japonais pour les fortes poitrines.

 



Image réelle ou déformée du Japon ?

Pourquoi y a-t-il des casiers à l'entrée de chaque lycée ?
Parce que les étudiants y déposent chaque matin leurs chaussures, qu'ils échangent contre des pantoufles portées à l'intérieur de l'école.
Qu'est-ce que l'ijime ?
C'est une torture psychologique qu'endurent certains élèves, pris en grippe par toute leur classe et qui subissent de nombreuses brimades au quotidien. C'est une des raisons expliquant le haut taux de suicide chez les étudiants japonais.
Pourquoi ne faut-il pas planter ses baguettes dans son bol de riz ?
Parce que c'est un geste qui est effectué lors des funérailles et donc associé à la mort.

On le voit donc, l'image brossée par les manga de la société japonaise est assez fidèle, même lorsqu'il s'agit d'aborder des points plus sensibles.

La grande majorité des histoires destinées aux jeunes sont ancrées dans le milieu scolaire. Le lecteur est donc confronté à la vie estudiantine lambda : casiers et cantine mais aussi importance des clubs dans la vie sociale de l'étudiant et nécessité de réussir. Les professeurs sont souvent montrés comme plus fonctionnaires que passionnés et les parents sont généralement plus soucieux de résultats scolaires que de l'épanouissement personnel de leur enfant. L'image est donc sans complaisance.

On va retrouver le même souci de planter un décor véridique, même dans ses aspects les moins reluisants, dans les bandes dessinées destinées à un public plus adulte. La vie du salaryman moyen est régulièrement brossée avec beaucoup d'ironie et d'acrimonie, prouvant par là que le Japonais  n'est plus dupe d'un système socio-économique dépassé.

Bien évidemment, si l'auteur veut vendre ses œuvres, il ne peut se contenter de reproduire la réalité toute nue. Il va alors recourir à des moyens scénaristiques permettant au lecteur de s'évader de ce quotidien trop présent : thèmes extra-ordinaires comme les super-pouvoirs, les contacts avec l'au-delà, les voyages dans des mondes parallèles...

Si le lecteur japonais cherche le dépaysement dans les ressorts scénaristiques l'entraînant dans un ailleurs exotique, le lecteur européen, lui, subit ce dépaysement deux fois ! Il lui faut d'abord se familiariser avec l'image de la société japonaise contemporaine qui apparaît en filigrane dans la quasi-totalité des manga publiés. Une fois cela accompli, il peut alors, à la manière de son pendant nippon, se perdre dans les univers fantastiques dessinés par cet auteur du bout du monde.

Le portrait du Japon dressé par les manga est donc vraisemblablement plus proche de la réalité que certains ne veulent l'admettre et, en tous cas, plus proche que l'image véhiculée par de nombreux reportages télévisés réalisés par des Occidentaux qui se focalisent uniquement sur les « bizarreries » japonaises, qui sont légion, il est vrai, sur l'archipel.

Édith Culot
Octobre 2010

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Édith Culot est historienne de l'art.  Ses principales recherches portent sur les laques japonaises et en particulier celles utilisées dans la cérémonie de l'encens. Elle assure aussi le secrétariat du Centre d'Études Japonaises de l'ULg.

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