Regards croisés, Japonais en Belgique et Belges au Japon

Belgian in Japan

Pour un(e) Belge, un voyage au Japon fait rêver. On part donc avec une certaine fierté, l'impression d'être privilégié.  On s'attend à un dépaysement. On ne sera pas déçu, puisque ce pays, mêlant tradition et modernité, situé à 9000 km de la Belgique, réserve bon nombre de surprises...  Huit Belges qui ont séjourné au Japon pour différents motifs, touristiques, estudiantins et professionnels, témoignent.

Belgian in Tokyo – touriste (ou pas)

Tokyo, 8 heures 30 du matin. Au secours, penserait un Belge au milieu des vagues de gens, qui  semblent tous marcher dans le même sens, comme une représentation de propagande totalitaire. En réalité,  bien évidemment, leurs destinations sont diverses, via les nombreuses lignes de métro, de JR, et de nombreuses petites lignes privées.

tokyo
buildings tokyoïtes

Ces marcheurs silencieux se transformeront cependant à la fin de la journée (et surtout le vendredi) en personnages bien rieurs, qui chantent (au karaoké) et  titubent joyeusement après avoir absorbé quelques verres d'alcool, car les Japonais le supportent moins bien que les Européens.  C'est impressionnant de découvrir cette autre face des Nippons. En Europe, ils ont la réputation d'être (seulement) des fanatiques de travail. Attention, eux aussi peuvent s'éclater et savourer la joie de vivre, tout en restant accrochés à leurs téléphones portables aussi sophistiqués que des PC.

Autre chose. En ce qui concerne les écrits (panneaux d'indication dans les lieux publics), les Japonais parlent l'anglais. Pour l'oral, les non-japonophones ont moins de chance. Mais pourquoi l'anglais devrait-il être parlé couramment dans un pays non-anglophone ? In Rome, do as Romans do. Tokyo n'est pas Rome ? Quoique...

 

menu japonais
Menu en japonais. Les tarifs sont écrits aussi en chiffres japonais. Une véritable énigme pour des touristes occidentaux...

Belgian in Japan, impressions générales

L'accueil que les Japonais réservent aux étrangers est de deux types : l'accueil commercial et l'accueil au sein d'un cercle social fermé. Dans le premier cas, les non-Japonais sont chaleureusement accueillis avec un grand sourire, comme s'ils étaient des rois. Cependant, dans le second cas, la barre est placée assez haut.

Un Belge, qui pense que l'accueil « commercial » est valable dans toutes les circonstances commettra des impairs. Jusqu'où pourra-t-on aller pour montrer sa sympathie aux collègues, aux voisins ? S'inviter à l'improviste et proposer d'aller prendre un verre serait perçu comme un comportement romantique, qui n'existe que dans les romans, les feuilletons télé et les dessins animés. En réalité, mieux vaut prendre rendez-vous bien avant, en vérifiant toujours si cela ne dérange pas. Cette presque froideur n'est  pourtant pas de la méfiance, mais plutôt du respect. La prise de distance pertinente avec l'interlocuteur, en décryptant l'atmosphère avant d'agir, est considérée comme acte respectueux. C'est un signe de bonne éducation, même !  C'est particulièrement vrai dans la manière de regarder les gens, par exemple. Pas de regard direct face à face avec des inconnus,  à quelques exceptions près (entretiens d'embauche ou  bagarre).

Malheureusement, cette faculté de « lire l'atmosphère » est assez difficile à acquérir. Cela a d'ailleurs donné lieu à un néologisme pour désigner certains jeunes Japonais (ou d'autres personnes) : « KY » (à prononcer - [ke ouai], abréviation de Kuuki ga Yomenai). « KY » veut dire «  qui est incapable de lire l'atmosphère, sans gêne ».

Admirer la finesse et la variété gustative de la cuisine japonaise, ou se plaindre du coût astronomique de la vie à Tokyo  (trois fois plus chère qu'en Belgique) n'a rien d'original. Les paysages urbains très américanisées ou le look des jeunes Japonais suscitent moins d'admiration de la part des Européens. Ce dernier point se comprend parfaitement, puisque les visiteurs occidentaux cherchent deux choses paradoxales : ils veulent un dépaysement total, tout en aspirant, presque inconsciemment, à ce que les autochtones leur ouvrent leurs portes comme s'ils étaient chez eux.

La dignité des Japonais et leur caractère têtu transparaissent  dans la distance sociale évoquée ci-dessus, qui se manifeste avec un voile de politesse. Un léger recul des Japonais vis-à-vis des Occidentaux qui veulent s'intégrer n'est pas un refus, mais signifie : « On n'est pas obligé de s'intégrer à tout prix, cher visiteur. » Les Japonais et les visiteurs se partagent un même espace, sans se regarder forcément. Et c'est très bien ainsi.

Le silence des Japonais, leur timidité doit être comprise comme : «S'il vous plaît, cher visiteur, gardez la distance, comme lorsqu'on regarde un chat dormir. Il est ainsi plus proche de nous  que quand on le caresse de près. »

Les deux mentalités sont bien différentes. Au moment de son retour en Europe, le visiteur se rend  bien compte qu'il y a encore beaucoup de choses qu'il ne comprend pas. Il est alors hanté par l'envie d'y retourner. Pas vrai ?


Kanako Goto
Octobre 2010

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Kanako Goto enseigne la langue et la littérature japonaises à l'Université de Liège. Elle s'intéresse au problème de la réception de la culture japonaise, notamment à travers la traduction des œuvres littéraires.

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