Le Japonisme : naissance et prolongements

Mais s'il est une date qui préside à la « flambée du japonisme »6 en Belgique, c'est bien l'année 1889. Elle voit non seulement l'organisation de la première exposition d'art japonais dans le pays, mais elle correspond aussi au premier achat important d'estampes par le gouvernement belge. À l'origine de ces deux événements, un même homme : le compositeur belge Edmond Michotte. C'est lui qui, le 2 février 1889, organise, à partir de la collection de Siegfried Bing, une exposition au Cercle artistique et littéraire de Bruxelles. Il s'agit d'une première pour la Belgique.

bing

La presse rendra d'ailleurs clairement compte de l'importance que revêt cette manifestation. Dans un journal féminin, on peut lire ceci : « Le tout Bruxelles est japonisant. Le japonisme a conquis droit de cité chez nous ; il est à la mode et c'est tout dire. Désormais l'anglomanie est détrônée dans la capitale de la Belgique. Les Anglomanes devront faire leur deuil, oublier les locutions anglo-françaises qui leur sont si chères, se vêtir comme de simples Japonais de robes en vogue jadis à la cour des Hôjô, de parler de kakémonos et de makimonos en connaisseurs raffinés [...]. Cette transformation s'opérera, je vous l'assure grâce à l'exposition d'art japonais ancien organisée au cercle artistique et littéraire par M. Bing. »7

Le mouvement d'engouement que provoque l'exposition conduit Edmond Michotte à inciter la direction des Beaux-Arts à acheter à Bing quelques pièces de son magasin. C'est donc sur les conseils du musicien que le gouvernement belge achète six peintures pour la section ethnographique du Musée royal d'Antiquités, d'Armures et d'Artillerie de Bruxelles (actuels Musées royaux d'Art et d'Histoire) et un lot de  267 estampes de l'école ukiyo-e pour les Musées royaux des Arts décoratifs et industriels. La mode japonisante est alors lancée. En 1892, l'association Pour l'Art expose des œuvres de Boch, Lemmen, Van Rysselberghe et Van de Velde aux côtés d'estampes d'Hiroshige, lesquelles estampes proviennent des collections privées de Lemmen, Van Rysselberghe et Michotte.


L'influence de l'art japonais se perçoit dans l'œuvre de nombreux artistes. Les uns s'inspirent en particulier de la Manga d'Hokusai, comme Félicien Rops et Armand Rassenfosse ; les autres retiennent de leurs modèles dissonances chromatiques et dessin sinueux, comme  Gisbert Combaz, Henry Van de Velde ou Georges Lemmen.

 

VanRysselberghe LemmenPortraitdeMmeGeorgesLemmen1902
Theo Van Rysselberghe, Portrait de Maria - Georges Lemmen, Portrait de Mme Georges Lemmen, 1902.

 

tour japonaise

Victor Horta achète des albums illustrés japonais à Takejirô Murakami, un marchand japonais venu s'installer en Belgique après l'Exposition universelle de Liège en 1905. C'est la première fois que le Japon participe de manière officielle à une exposition universelle organisée en Belgique. L'année 1905 marque donc un tournant dans les relations belgo-japonaises, d'autant que c'est à cette même date que débute la construction de la Tour japonaise à Laeken par Léopold II  (ci-contre) et que se décide l'acquisition, par les Musées royaux d'Art et d'Histoire, de la collection d'art japonais d'Edmond Michotte, une collection qui enrichit alors l'institution de plus de 6 000 pièces, dont plus de 4 000 estampes ukiyo-e.

Ainsi, bien que né tardivement, le japonisme a trouvé en Belgique une terre fertile dont de nombreux artistes et collectionneurs ont su profiter. On épinglera à ce titre le collectionneur belge d'origine autrichienne Hans de Winiwarter (1875-1949) dont l'action, dans le domaine de l'étude de l'art japonais, a été aussi maîtrisée que décisive8.

Winiwarter
Hans de Winiwarter déguisé en japonais, photographie, vers 1900, Collection privée.

Vers une deuxième culture japonisante : le « néo-japonisme » des années 50

En 1958, sous la plume du critique d'art français Michel Ragon, on peut lire : « Une nouvelle mode du Japon est en train de naître. L'exposition L'art japonais à travers les siècles au Musée national d'Art moderne de Paris ne sera pas sans aider (cette fois-ci à juste titre) à l'engouement des Européens et des Américains pour le Japon [...]. En effet, dans la peinture traditionnelle japonaise, on trouve avec étonnement ce goût du signe et de la tache, cette liberté de tracé de pinceau, ce sens de l'espace, qui sont autant de caractéristiques de l'art abstrait actuellement d'avant-garde en Europe et aux États-Unis [...]. Le second japonisme européen est bien en contradiction avec le premier et le Japon puriste, qui nous ravit aujourd'hui, nous aide à nous délivrer du baroquisme hérité du Japon qui avait tant plus à nos grands-parents »9.

L'émergence d'un second japonisme sera également confirmé dans un article que signe Boudaille la même année : « À mon point de vue, il est plus aisé d'établir une certaine influence de l'art oriental en général sur une partie de la jeune École abstraite de Paris qu'une quelconque influence inverse. Un certain style orientalisant a trouvé des résonnances [sic] chez de jeunes peintres occidentaux. On retrouve dans leurs graphismes une liberté, une légèreté, une élégance qui doit vraisemblablement beaucoup à la calligraphie extrême-orientale. »10 Ces relations entre peinture occidentale et calligraphie japonaise se manifesteront dans l'œuvre d'un nombre impressionnant de créateurs. Pierre Alechnisky, Georges Mathieu, Pierre Soulages, Antoni Tàpies, Sam Francis, Jean Degottex, Yves Klein, Hans Hartung, Jackson Pollock, Franz Kline sont autant d'artistes qui ont trouvé dans la peinture calligraphique  une source d'inspiration leur permettant de légitimer leurs propres recherches. Pierre Alechinsky, en particulier, entretiendra des liens féconds avec le monde des calligraphes (Voir l'article : Pierre Alechinsky : récit d'un initéraire pictural).

 

Calligraphie

 

Pierre Alechinsky et le cameraman Francis Haar sur le tournage, à Kyoto, de Calligraphie japonaise,  1955, © Micky Alechinsky

 

Julie Bawin
Octobre 2010

crayondef

Docteur en histoire de l'art, Julie Bawin  enseigne l'histoire de l'art du 20e siècle à l'Université de Liège, où elle occupe un poste de premier assistant (expert scientifique).



 
 
6 Chantal KOZYREFF (dir.), Estampes japonaises. Collections des Musées royaux d'Art et d'Histoire, Bruxelles, Bruxelles, Musées royaux d'Art et d'Histoire,  1989, p. 9-12.
7 Jules DU JARDIN, Peinture. Le japonisme, dans « La Jeune fille », n° 36, 1889, p. 561.
8 Julie, BAWIN, La collection au temps du japonisme, Editions InterCommunications & Editions modulaires européennes, 2007.
9 RAGON, M., Le Japon et nous, dans Cimaise, Paris, 1958,  n°5, p. 11.
10 BOUDAILLE, G., Influence de l'Ecole de Paris sur les peintres japonais. Que viennent chercher à Paris les peintres japonaise ?, dans Cimaise, Paris, 1958, n°5, p. 26-29.

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