Comment j'ai découvert l'architecture du Japon

À la recherche d'une architecture enfin contemporaine

L'architecture traditionnelle japonaise est célèbre dans le monde entier pour sa technique de construction en bois, comportant des assemblages extrêmement précis, capables de s'opposer à divers types d'efforts, et pour la rigueur et le dépouillement des formes, garants d'une esthétique simple et riche.

La richesse de l'architecture traditionnelle japonaise, c'est son dépouillement et sa logique constructive.Ce n'est pas cette abstraction esthétique qui me paraît importante, mais bien davantage sa modulation et son caractère provisoire. Tous les éléments de construction sont standardisés, ils sont très légers et ils sont donc faciles à remplacer soit quand ils sont usagés, soit quand ils sont abîmés par un tremblement de terre ou un typhon.

La nature et ses caprices font que le Japonais vit l'architecture de son logement autrement que les Occidentaux. Comme le disait mon ami l'architecte Yoshio Sawa, lors du colloque « Bois et construction » organisé par le C.E.J.U.L. en mars 2000, « l'idéal esthétique pour les Japonais se trouve dans la beauté suggérée ».

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Fig.10 : Maison de thé à Itami par Yoshio Sawa, 1982
Fig.11 : Musée et maison de thé à Kitakyushu par Yoshio Sawa, 1998

Quant à Augustin Berque, il fait remarquer que « la culture japonaise ne conçoit et ne pratique pas dans les mêmes termes que nous, les rapports du temps avec la matière ». Cette remarque explique le détachement des Japonais face à la pérennité des constructions, et leur attachement à celle des traditions.

Je voudrais encore ajouter que la pureté des lignes de construction et les formes tourmentées de l'univers végétal par leur contraste accroissent mutuellement leurs richesses, c'est-à-dire celle de la maison et celle de la nature qui l'entoure.

Ce sont ces caractéristiques qui devraient être à la base d'une architecture contemporaine, d'une architecture industrialisée à la manière des prototypes Sekisui, Toyota, Daiwa ou Misawa.

Aujourd'hui, plusieurs architectes japonais écument les revues d'architecture en montrant des maisons particulières qu'ils dessinent à la mode occidentale tout en essayant de faire croire qu'ils les ont japonisées. Il s'agit de beaux objets certes, mais je suis d'avis que l'usage de nouveaux matériaux et d'autres techniques fait perdre à leurs œuvres les qualités qui étaient celles de leur architecture standardisée en bois. Ce qu'ils gagnent en résistance, ils le perdent en simplicité.

Le M.O.MA., the Museum of Modern Art à New-York , doit avoir raisonné de même en publiant et partant en promotionnant dans un de ses derniers ouvrages intitulé « Home delivery. Fabricating the modern dwelling », le prototype Sekisui Heim M-1 que j'avais repéré en 1972.

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Fig.12 : prototype Sekisui Heim M-1

C'est en poursuivant leurs recherches à propos de la maison individuelle et de sa production industrielle que les Japonais réussiront à proposer une architecture enfin contemporaine. Comme le fait justement remarquer le professeur Nakagawa Takeshi, « Architecture begins and ends with the house ».

Jean Englebert
Octobre 2010

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Ingénieur civil architecte, urbaniste, Jean Englebert est professeur émérite de l'Université de Liège. Il a notamment créé, au sein de la faculté des Sciences appliquées, le Centre de Recherches d'Architecture et d'Urbanisme (CRAU).

 


 

Bibliographie
• Berque Augustin, Du geste à la cité. Formes urbaines et lien social au Japon, nrf, Editions Gallimard, Paris, 1993, 250 pages
• Nakagawa Takeshi, The japanese house. In space, memory and language, by I-House Press, Tokyo, 2006, 267 pages
• Bergdoll Barry & Christensen Peter, Home delivery. Fabricating the modern dwelling, The Museum of modern art, New York, 2008, 248 pages
• Englebert Jean, Le logement du futur sera-t-il industrialisé ? Un enjeu pour l'Europe ou pour le Japon, E.M.E., IRIS, Le Japon et l'Europe tissage interculturel, Louvain-la-Neuve, 2004, pp.249-269
• Englebert Jean, Next 21 : une expérience intéressante de logement urbain à Osaka, Academia Bruylant, Rencontres Orient-Occident 4, Louvain la Neuve, mai 2000, pp.215-225
• Englebert Jean, Urbanisme et architecture : désordre et éphémère, Les nouvelles du patrimoine, Bruxelles, n°29, octobre 1989, pp.18 et 19

Illustrations
Toutes les photos sont de Jean Englebert, à l'exception de la photo n°4 qui provient de Wikipédia.
 

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