Des « collectifs médiatisés » aux logiciels libres

Vous vous intéressez spécifiquement au mouvement du logiciel libre ?

En effet. Ici également, il est sans doute utile de préciser les termes. Nous utilisons tous des logiciels libres (comme Open Office ou Firefox), mais parfois sans le savoir. Les logiciels libres peuvent être téléchargés et utilisés gratuitement, sans limitation d'aucune sorte, ni de temps, ni d'endroit, ni de type d'usage mais, en plus, leur code source est disponible, ce qui les différencie des logiciels (simplement) gratuits. On peut donc examiner comment ils sont conçus, les modifier et les distribuer. Ces quatre libertés du logiciel libre – utiliser, étudier, modifier et partager – ont été définies par un informaticien, Richard Stallman, qui avait lancé l'idée d'un système complètement libre, baptisé Gnu.

Il existe un grand nombre de logiciels libres. Certains d'entre eux sont plus performants que leurs homologues propriétaires, comme le navigateur Firefox ou le serveur Apache. Mais cela ne signifie pas pour autant que les logiciels libres sont automatiquement de meilleure qualité que leurs concurrents propriétaires (loin s'en faut).

 

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Et Linux ?

Vous pouvez très bien utiliser un logiciel libre, par exemple Firefox, sur un système qui n'est pas libre, comme Windows ou Mac OS. Vous pouvez aussi préférer un système totalement libre, dans la gestion de la mémoire, de l'énergie, du disque dur, et jusque dans la partie la plus centrale, le noyau, qui gère les interactions entre toutes les parties de l'ordinateur. C'est là que Linux intervient.

Pour être précis, Linux est un noyau construit en 1991 par un Finlandais, Linus Torvalds. Mais juste avec Linux, vous ne pouvez pas faire grand-chose, il nécessite de nombreux autres programmes libres, les programmes développés au sein du fameux projet Gnu dont j'ai parlé précédemment. Donc, afin de rendre justice à l'ensemble des concepteurs, les personnes qui militent pour ce type de logiciels préfèrent aujourd'hui parler de Gnu/Linux.

C'est en étudiant l'organisation sociale de ces programmeurs militant pour le logiciel libre que j'ai développé la notion de collectif médiatisé. J'ai d'ailleurs constaté que Wikipedia ou l'Open Directory Project s'organisent de manière comparable !

Pourquoi les utilisateurs de Linux restent-ils à ce point minoritaires ?

Il y a plusieurs raisons. Premièrement, le marketing n'est pas très efficace, tout simplement parce qu'il n'y a pas de société derrière, comparé à la véritable machine d'un Microsoft (moins orientée marketing qu'habitudes) ou celle d'Apple, qui vend un état d'esprit davantage qu'un produit (utiliser un Mac, c'est « cool »). Deuxièmement, lorsque vous achetez un ordinateur, que ce soit un PC ou un Mac, celui-ci est déjà doté des logiciels fondamentaux (le système d'exploitation). Quasiment aucun revendeur ne vend un ordinateur avec Linux déjà installé. Autrement dit, il faut l'installer soi-même, ce qui ne va pas de soi. C'est une démarche qui prend plusieurs heures et n'est pas sans poser certains problèmes, ne fût-ce que parce que les pièces ne sont pas toujours standards. Le mieux est alors d'aller dans un club informatique spécialisé en logiciels libres (un « Linux User Group » ou LUG) qui organise régulièrement des séances d'installation de Linux (les « Linux install parties »). Il y en a un peu partout1

Lors de votre séjour post-doctorat au sein de l'Université de technologie Troyes, vous avez-vous-même développé un logiciel libre...

À force de me frotter à des développeurs de logiciels libres, de tenter de comprendre leurs us et coutumes, je me suis pris au jeu. J'ai alors développé un logiciel susceptible de répondre aux besoins d'un public très spécifique : les chercheurs en sciences humaines désireux d'analyser collectivement des textes. Toutefois, je ne pouvais pas mener à bien ce projet seul. Il a pu voir le jour grâce à une collaboration serrée avec l'équipe interdisciplinaire Tech-CICO, précisément spécialisée dans l'étude et la conception de plateformes collaboratives.

Le logiciel que j'ai conçu s'appelle Cassandre. C'est un outil d'analyse semi-automatique de textes. Pour faire vite, on peut dire que Cassandre est à l'analyse de textes ce que Wikipedia est au traitement de texte. Autrement dit, il fait des choses moins évoluées que certains logiciels commerciaux en cette matière mais permet en revanche de travailler à plusieurs. Et, bien entendu, c'est un logiciel libre.

 

Propos recueillis par Michel Paquot
Octobre 2010

 

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Christophe Lejeune est docteur en sociologie et expert scientifique à l'ULg. Ses recherches portent sur le mouvement pour le logiciel libre et l'analyse d'entretiens biographiques.

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Michel Paquot est journaliste indépendant.

 


 

Pour en savoir plus


  • Sur l'usage responsable d'Internet
    Lejeune Christophe, 2009, Démocratie 2.0. Une histoire politique d'Internet, Bruxelles, Espace de Libertés, 90 pages.http://hdl.handle.net/2268/21042

  • Sur les collectifs médiatisés
    Lejeune Christophe, 2011, «From virtual communities to project-driven mediated collectives. A comparison of Debian, Wikipedia and the Open Directory Project» in Francq Pascal (dir), Collaborative Search and Communities of Interest. Trends in Knowledge Sharing and Assessment, IGI Global, pp. 10-20. http://hdl.handle.net/2268/59755
    Lejeune C., 2010, «L'organisation sociopolitique des collectifs médiatisés. De quelques controverses internes à l'Open Directory Project» in Marc Jacquemain et Pascal Delwit (dir), Engagements actuels, actualité des engagements, Académia Bruylant, Louvain-la-Neuve, pp. 141-153. http://hdl.handle.net/2268/35814

 



1 À Liège, il y en a même deux : LiLiT http://www.lilit.be/ et BaweTic http://www.bawetic.be/
Vignette photo© Andrzej Puchta - Fotolia.com

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