Les bancs d'Izoard
Jacques Izoard
Liège est la ville où Jacques Izoard a grandi, vécu, écrit, le berceau dans lequel et d'où il défendait et illustrait la poésie, envers et contre tout. On ne compte plus les lieux liégeois qu'il a animés dès les années 70 et qui l'ont vu recevoir et présenter tant de poètes, renommés ou inconnus, étrangers ou locaux. Désormais, du mobilier urbain porte son empreinte.

Né en 1936, Jacques Izoard s'est signalé dès les années 60 comme un poète novateur, auteur d'une œuvre abondante et cohérente. Sa poésie est à la fois attentive au concret de la réalité, objets, corps, lieux et paysage, et fondée sur un sens subtil et un usage libre de l'image et de l'alliance des mots. Il s'est très tôt et sans relâche mis au service de la poésie, nouant de nombreuses relations dans le monde, accueillant et défendant de nombreux poètes, tant belges qu'étrangers. Les deux premiers tomes de ses œuvres complètes (1952-2000) ont paru en 2006 aux éditions de La Différence. Il est décédé en 2008.
 

Izoard aimait Liège dans ses rues et leurs pavés, dans les secrets et la chair même de la cité. Lui qui s'était dit « frappé de cécité dans sa cité ardente », cet éternel habitant du quartier Sainte-Marguerite n'a cessé d'ouvrir les yeux sur le cœur même de sa ville et de ses habitants, à explorer et évoquer ses coins et recoins, à commencer par les escaliers, pour lesquels il avait une prédilection et auxquels il a consacré plus d'une séquence de poème.
Replacer le poète dans sa ville est donc la meilleure façon dont celle-ci puisse lui rendre hommage, depuis sa disparition en juillet 2008. Izoard aimait à s'asseoir sur les bancs, pour prendre l'air, se reposer, ouvrir les yeux. Lieux de rencontre et de sociabilité, ils revêtaient pour lui une grande importance : là pouvaient se parler les gens, là s'arrêtaient avec lui ceux qu'il aimait côtoyer.

Jacques Izoard a maintes fois évoqué les bancs dans ses poèmes. quand il ne s'agit pas des bancs de l'école (l'école primaire, celle de son père qui était instituteur), ce sont bien ceux qui agrémentent nos places et nos rues :
Il y a un grand jardin qui s'étend à perte de vue. Il y a des allées parallèles. Il y a des jets d'eau. Il y a des bancs de pierre. Il y a un ciel gris. Il ne fait ni chaud ni froid. Quelque part dans ce jardin –  l'imprécision me plaît –, assis sur un banc de pierre, il y a un homme, un homme qui fixe un caillou de l'allée. Les allées en effet sont couvertes de cailloux blancs et ronds. L'homme ne fixe pas n'importe quel caillou. Il fixe un caillou qu'il a choisi très soigneusement, après avoir éliminé des milliers d'autres cailloux. Donc, l'homme fixe le caillou. Dans ce caillou, il y a un grand jardin qui s'étend à perte de vue. Il y a des allées parallèles. Il y a des jets d'eau. Il y a des bancs de pierre. Il y a un ciel gris. Il ne fait ni chaud ni froid. Mais, dans ce jardin-là, il n'y a personne. (« Le parc enchanté », Les sources de feu brûlent le feu contraire, 1964)

Heureuse est donc l'idée qu'ont eue Daniel Dutrieux et Aloys Beguin : dédier à Jacques Izoard six bancs inspirés des lettres de son nom, sur une place calme qui n'est guère éloignée de son domicile de la rue Chevaufosse. La place des Béguinages, entre la rue Saint-Gilles et le quartier Jonfosse.

Ainsi, enfin, le nom du grand poète liégeois sera inscrit dans sa ville, enfin les liégeois pourront le lire et méditer sur sa poésie assis sur le meuble urbain qui s'y prête le mieux : un banc.

En 1999, à l'occasion de l'inauguration d'un banc portant un texte de lui, il écrivait : « Voici donc mon poème offert à toutes et à tous, exhibé en toute lumière ! Et chacun, du banc le plus proche, pourra s'emparer de mes mots, les inverser peut-être, pour recréer un autre poème ! »

Jacques Izoard aurait pu voir dans tous les bancs de Liège les vers d'un long poème dédié à la ville, au repos et à la flânerie. Les six bancs de la place des Béguinages sont encore plus simplement poétiques, puisqu'ils portent sur leur surface les titres des livres du poète, offerts au passant comme autant de fragments bruts et purs de poésie. Arrêtez-vous, la poésie vous invite à vous asseoir. Tournez-vous : sur un panneau de « mobilier urbain », superbement photographié par Pierre Houcmant, le poète vous observe, tout à la fois fraternel et distant.
 

 

Gérald Purnelle
Octobre 2010

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Gérald Purnelle mène ses recherches dans le domaine de la métrique, de l'histoire des formes poétiques et de la poésie française des 19e et 20e siècles. Il a édité les 2 volumes d'Œuvres complètes d'Izoard et travaille actuellement au 3e volume. 

 

Photo : Jacques Izoard, à l'ULg, lors de la cérémonie de rentrée académique en 2007 © ULg -Michel Houet

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