Du poison dans les fungi, 2e partie

Il faut attendre le 17e siècle pour que voient le jour les premières tentatives de classifications. Le Français Pierre Magnol (1638-1715) distingue tout d'abord les champignons à chapeau - eux-mêmes subdivisés en champignons à lamelles et à pores - les champignons à cannelures et les champignons digités. Par la suite, on ajoute des sous-groupes en fonction des caractéristiques morphologiques. Les grands noms à retenir dans ce formidable développement de la mycologie sont les français Jean-Jacques Paulet (1740-1826) et Pierre Bulliard (1752-1793), le néerlandais Christiaan Hendrik Persoon (1761-1836) et le suédois Elias Magnus Fries (1794-1878). En 1912, Jean Paul Vuillemin (1861-1932) livre une analyse précise sur cette histoire dans Les champignons, essai de classification.3

De l'utilité des champignons

Le progrès scientifique est une bonne chose. Encore faut-il qu'il soit utile à l'humanité. Le champignon est une ressource nutritive d'excellente qualité et totalement gratuite dont pourrait profiter l'ensemble de la population. Or, on remarque que pendant l'époque moderne, les gens des villes surtout s'adonnent à la cueillette dans les faubourgs. Les paysans, quant à eux, se montrent plus circonspects. Les scientifiques, nous venons de le voir, rattrapent petit à petit leur retard. Les conseils qu'ils prodiguent au public n'évoluent néanmoins pas beaucoup au cours du 18e siècle. Le pourtant très moderne Nicolas Lemery (1645-1715), dans son Traité des alimens (1705), s'en tient toujours aux conseils de base. Les champignons sont des aliments dont on ne sçaurait trop se défier, affirme-t-il, avant de citer l'exemple d'une famille entière ayant succombé après avoir consommé des champignons pourtant inoffensifs et de donner quelques conseils douteux pour reconnaître les individus toxiques :

On prétend que quand les champignons ne conservent pas leur couleur naturelle après avoir été lavez, & qu'ils deviennent ou bleus, ou rouges, ou noirs, ils sont tres dangereux.4

Ces trucs de grand-mère pour distinguer les champignons dangereux, tels que la pièce en argent à placer dans la casserole où ils cuisent, sont très répandus et seront vivement combattus par les journalistes du 19e siècle conscients que ces pratiques provoquent plus de tort que de bien.

Quelque quatre-vingts ans après Lemery, une brochure parisienne consacrée à l'usage des champignons ne varie toujours pas le discours généralement admis. On conseille de s'abstenir de champignons, puisque le plus sain en apparence cause des indigestions et d'autres accidents plus graves. Les ouvrages des botanistes ne fournissant pas suffisamment de certitudes sur leur qualité, on conseille de les expérimenter sur des animaux. Mais le mieux reste encore de s'en abstenir.5

Pourtant, à la même époque, une nouvelle génération de mycologues s'attèle à donner une description précise et comparative des champignons afin de permettre au public de les cueillir sans risque et d'en faire un usage domestique.6

Bientôt, un genre nouveau de livres voit le jour. Ces derniers sont consacrés à l'art de reconnaître les espèces comestibles, de les conserver et de les apprêter. Persoon, visiblement insatisfait des œuvres de ses prédécesseurs, publie le Traité sur les champignons comestibles, qui, espère-t-il, sera d'une grande utilité pour le peuple analphabète par l'intermédiaire de lettrés bienfaisants. Il accompagne son traité de recettes de cuisine.7

 

Psalliote champêtre
La psalliote champêtre est le champignon le plus populaire et le plus cueilli, probablement depuis la plus haute antiquité. Elle est cultivée à partir du 17e siècle. Jules Remy (1826-1893), auteur de Champignons et truffes (1861) d'où est tirée cette illustration, est persuadé qu'on parviendra bientôt à cultiver toutes les espèces de champignons comestibles, seule solution parfaitement sûre afin d'éviter les funestes accidents.

Quelques années plus tard, le Guide de l'amateur de champignons, de Cordier, se veut également utile aux classes les plus démunies. L'auteur entend pallier les défauts de son prédécesseur, inabordable pour beaucoup de lecteurs selon lui. Cordier avoue raffoler des champignons crus, mangés fraîchement cueillis au milieu des friches. C'est aussi, selon lui, une bonne manière d'éviter les accidents, vu que les espèces dangereuses préviennent de leur toxicité par un goût désagréable et une odeur repoussante. Avant de conclure : C'est l'art seul des cuisiniers qui nous empoisonne. L'auteur relaie en outre la vieille méthode pour se prémunir du poison des champignons consistant à les tremper dans de l'eau vinaigrée. Nous voyons que les vieux préjugés, malgré les progrès de la science, sont encore bien ancrés dans les esprits.8

Les ouvrages de mycologie se multiplient au 19e siècle, toujours dans le but de préserver la population d'erreurs pouvant s'avérer fatales. Les auteurs de ces vulgarisations insistent sur le prix abordable de leur ouvrage ainsi que sur le texte lisible par tout le monde. On s'éloigne de la littérature purement scientifique pour offrir au public de la campagne et des villes des livres de référence permettant une cueillette en toute sécurité. Parmi ces ouvrages, citons quelques-uns faciles à trouver en version numérisée sur Google livres :

  • M. E. Descourtilz, Champignons comestibles, suspects et vénéneux, Paris, 1827,
  • Joseph Roques, Histoire des champignons comestibles et vénéneux, Paris, 1832. Livre particulièrement agréable à lire grâce au style relevé de l'auteur,
  • L. Secretan, Mycographie suisse, ou description des champignons qui croissent en Suisse, Genève, 3 volumes, 1833. Il s'agit de la première monographie consacrée aux champignons qui poussent en Suisse,
  • J.-B. Noulet et A. Dassier, Traité des champignons comestibles, suspects et vénéneux, qui croissent dans le bassin sous-pyrénéen, Toulouse, Paris, 1838. Ouvrage de vulgarisation qui se veut compréhensible par tout le monde.
  • J. Lavalle, Traité pratique des champignons comestibles, Paris, Dijon, 1852,
  • Jules Remy, Champignons et truffes, Paris, 1861. La truffe est encore considérée comme une espèce ne faisant pas partie des champignons,
  • Louis Favre, Les champignons comestibles du canton de Neuchatel, Neuchatel, 1861,
  • L. F. Morel, Traité des champignons au point de vue botanique, alimentaire et toxicologique, Paris, 1865.

 


 

3 Hendrik C.D. de Wit, Histoire du développement de la biologie, t. 3, Lausanne, 1994, p. 133-140.
4 Louis Lemery, Traité des aliments, Paris, 1705, p. 164-167.
5 Bibliographie agronomique ou dictionnaire raisonné des ouvrages sur l'économie rurale et domestique et sur l'état vétérinaire, Paris, 1810, p. 361
6 Voyez par exemple la préface de Bulliard dans : Pierre Bulliard, Histoire des champignons de la France, t. 1, Paris, 1791.
7 C. H. Persoon, Traité sur les champignons comestibles, Paris, 1818, p. 8, 9.
8 F S. Cordier, Guide de l'amateur de champignons, Paris, 1826, p. 74, 75.

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