Du poison dans les Fungi, 1re partie

De la fin de l'été jusqu'à l'automne, d'étranges passionnés enfilent leurs bottes, saisissent un panier et s'aventurent dans les bois afin de perpétuer la tradition multiséculaire de la cueillette des champignons. Le soir venu, en fonction de la fortune de leur récolte, ils savourent quelques succulentes poêlées de ceps, de coprins, de pieds de mouton, de pieds bleus, de golmotes, d'armillaires, de lactaires, de girolles, de pleurotes, de meuniers, de russules ou de coulemelles. Mais comment nos ancêtres, forcément cueilleurs, ont-ils géré leur relation avec les champignons ? Voici une question passionnante à laquelle nous allons apporter quelques éléments de réponse.

Bolet bai

Illustration du bolet bai dans le Traité pratique des champignons comestibles (1852). Tout aussi savoureux que le cep de Bordeaux, ce champignon est bien connu des amateurs qui les trouvent en abondance dans les sapinières.

Céder à la peur

Au 16e siècle, Leonardo Botal (ca 1530-1587), médecin d'Élisabeth d'Autriche et de Catherine de Médicis, observe avec stupéfaction un paysan se préparer une grillade de champignons cueillis dans les bois. Il tente de raisonner le pauvre bougre, mais rien n'y fait. Ce dernier a bien l'intention de consommer le produit de sa cueillette. Le lendemain, notre médecin observe abasourdi que le paysan est parfaitement indemne. Pour le scientifique qu'il est, c'est à n'y rien comprendre.1

Cette anecdote en dit long sur l'étude des champignons. Nous avons ici un savant, à la pointe de la science, totalement dépassé par la connaissance empirique d'un homme du peuple. C'est que le monde scientifique vit encore dans la vieille peur du champignon. Avec son lot de victimes, dont le pape Clément VII, l'empereur Claude et d'innombrables familles anonymes dont parle la littérature depuis l'Antiquité grecque, il n'inspire que méfiance. Inclassable, dangereux, savoureux, mais vénéneux, le champignon, de l'avis quasi unanime des lettrés de la Renaissance, doit être purement et simplement ignoré. Leur opinion remonte aux auteurs classiques dont ils tirent la plupart de leurs connaissances sur le sujet. Mais les classiques, comme nous allons le voir, ont très peu observé le champignon. Leurs connaissances à ce propos sont donc bien minces et très inexactes.

L'avis des anciens

Tout commence avec Théophraste (ca 372-ca 288 avant J.-C.), élève d'Aristote dont il modernise la taxinomie des végétaux. Il classe les champignons et la truffe parmi les plantes, malgré leur absence de racine, de tige ou de feuille.2

Le médecin grec Nicandre de Colophon (2e siècle avant J.-C.) donne des précisions sur la mystérieuse origine du champignon. Ce dernier est le produit d'une mauvaise sève de la terre.3 Cette exécrable réputation va le poursuivre très longtemps.

Dioscoride (ca 40-ca 90), médecin et botaniste grec, distingue deux espèces, les comestibles et les mortels. Comme les champignons naissent de la terre, ils tirent leur venin de leur environnement. Dioscoride passe donc plus de temps à décrire les lieux où il est proscrit d'en cueillir, que de s'attarder sur la physiologie des espèces dangereuses. Ainsi, un champignon ayant poussé sous un clou rouillé ou un drap pourri sera toxique - on le reconnaît à la viscosité apparue sur son chapeau-. Celui qui a poussé près d'un nid de serpents, où d'un arbre aux fruits vénéneux va également produire du poison. Les comestibles, quant à eux, doivent être consommés à petite dose, car ils sont difficiles à digérer et peuvent provoquer la suffocation. Dans ce cas, on se soigne en ingérant du vinaigre, une infusion de sarriette ou d'origan. La fiente de coq mélangée au miel est également conseillée en cas d'empoisonnement.4

Dioscoride 

Malgré ses grandes inexactitudes, Dioscoride demeure pendant des siècles la référence en matière de champignons.

 
 
1 Madeleine Ferrières, Nourritures canailles, Paris, 2007, p. 30, 31.
2 Hendrik C.D. de Wit, Histoire du développement de la biologie, t. 3, Lausanne, 1994, p. 12.
3 Idem, p. 25.
4 Les six livres de pedacion Dioscoride d'Anazarbe de la matière médicinale, translatez de Latin en François, Lyon, 1553, p. 277, 278.

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