Pomme d'or et pomme d'amour : 1re partie

Voici la saison de la tomate ! Biologiquement un fruit et gastronomiquement un légume, elle bat des records de consommation dans le monde entier. Débarquée il y a cinq siècles du nouveau continent et longtemps écartée de nos assiettes, elle prend sa revanche au 20e siècle pour régner sur les cuisines de tous les continents. L'histoire de ce merveilleux produit est bien connue des historiens. Du Mexique aux potagers bruxellois, en voici un aperçu qui donnera probablement l'envie d'aller voir plus loin. Le premier volet nous plonge dans les origines de la tomate en Europe.

 

Un peu de vocabulaire

Au fil des articles consacrés à l'histoire de la cuisine, grand sujet de la vie quotidienne, nous constatons que la question du vocabulaire n'est pas toujours évidente. La tomate n'échappe pas à la règle. Ce fruit a pris divers noms au cours du temps. Heureusement, nous connaissons l'étymologie de chacun d'eux.

Le terme « tomate » est emprunté à tomatl, du dialecte aztèque nahuatl. Il nous est parvenu par l'intermédiaire de l'espagnole tomate1, qui prend par la suite diverses formes en français.

histoire naturelle

Le mot tomate apparaît pour la première fois dans notre langue en 1598, dans Histoire naturelle et moralle des Indes2, du Père Joseph d'Acosta, traduit de l'Espagnol par Robert Regnault. Cette attestation est isolée et il faut attendre 1672 pour que réapparaisse le mot, sous la plume d'Alfred Jouvin3. Il parle d'une salade de pomates, observée à Ségovie, en pleine Castilla-Leon. Jusque dans la deuxième moitié du 18e siècle, les mentions sont rares. En 1718, on cite Tamati comme mot étranger dans une traduction du néerlandais de Cornelis de Bruyn4, et, en 1743, on trouve le terme tomatas, dans une traduction anglaise5.

La rareté de ce terme dans la littérature française n'est pas surprenante. Premièrement, le fruit est presque inconnu dans le pays jusqu'à la Révolution française. Ensuite, on ne l'appelle pas encore communément « tomate », mais bien « pomme dorée », « pomme d'or » ou « pomme d'amour ». C'est Pietro Andreas Matthioli, botaniste italien, qui la mentionne pour la toute première fois, en 1544. Au lieu de l'appeler « tomate », comme les Espagnols, il la nomme malum aureum, c'est-à-dire pomme d'or, qui donnera pomo d'oro en italien6.

Quand elle passe en Provence, elle prend le nom de « pomme d'amour », terme encore utilisé par Jean Giono dans Un de Baumugnes, en 1929. L'expression « Pomme d'amour » demeure donc dans le Sud de la France, mais aussi en Allemagne (Liebesapfel) et en Grande-Bretagne (Love Apples)7.

Dans le Nord, il faut un certain temps avant qu'on ne s'intéresse vraiment à la tomate. Dans le Dictionnaire pratique du bon ménager de campagne et de ville8, elle n'apparaît pas du tout. Le Dictionnaire de Trevoux9 ne connaît que les termes « pomme dorée » ou « pomme d'amour », tout comme le Dictionnaire raisonné universel d'histoire naturelle, contenant l'histoire des animaux, des végétaux et des minéraux10. En 1765, l'Encyclopédie désigne la plante et le fruit « tomate ». À partir de ce moment, ce terme va progressivement évincer « pomme d'amour » et « pomme d'or », sauf dans le Midi. En 1835, « tomate » entre dans le dictionnaire de l'Académie11.

Du point de vue scientifique, au 18e siècle, deux écoles s'affrontent sur la tomate. La première, la plus importante, est emmenée par Linné qui la classe en 1750 parmi les solanacées, à l'instar de Pietro Andreas Matthioli, et l'appelle solanum lycopersicum (pêche de loup). La deuxième est représentée par Tournefort qui la classe à part et la nomme lycopersicum galeni12. Finalement, c'est le terme choisi par le botaniste anglais Philip Miller (1731) qui s'impose à tous : lycopersicum esculentum.


 


 

1 T.L.F., Tome seizième, Paris, Gallimard, 1994, p. 295, col. 2
2 F° 168b.
3 Alfred Jouvin, Le Voyageur d'Europe, où sont le voyage d'Espagne et de Portugal et le voyage des Pays-Bas, Paris, 1672, p. 141.
4 Cornelis de Bruyn, Voyage de Corneille Le Brun par la Moscovie, en Perse et aux Indes Orientales, t. 1, Amsterdam, 1718, p. 338.
5 Thomas Shaw, Voyages de Monsieur Shaw, M.D. dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant, t. 1,La Haye, 1743, p. 289.
6 Evelyne Bloch-Dano, La fabuleuse histoire des légumes, Paris, Bernard Grasset, 2008, p. 131
7 T.L.F., op. cit.
8 L. Liger, Dictionnaire pratique du bon ménager de campagne et de ville, Tome premier, Paris, Chez Pierre Ribou, 1715.
9 Dictionnaire universel françois et latin, Tome sixième, Paris, par la Compagnie des Libraires Associés, 1752, col. 152.
10 M. Valmont de Bomare, Dictionnaire raisonné universel d'histoire naturelle, contenant l'histoire des animaux, des végétaux et des minéraux, Tome Quatrième, Paris, Chez Didot, Musier, De Hansy et Panckoucke, 1764, p. 460.
11 T.L.F., op. cit.
12 L'Abbé Rozier, Cours complet d'Agriculture, Théorique, Pratique, Economique, et de Médecine Rurale et Vétérinaire, suivi d'une Méthode pour étudier l'Agriculture par Principes ; ou Dictionnaire Universel d'Agriculture, Tome huitième, Paris, 1789, p. 176, col. 2.

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