Les plages d'Agnès

 

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Ce 22 septembre, lors de la cérémonie de rentrée académique, L'Université de Liège honorera (et aura l'honneur d'accueillir) entre autres la grande cinéaste et photographe Agnès Varda en lui remettant les insignes de Docteur honoris causa. La veille sera projeté, au cinéma Sauvenière et en présence de l'artiste, Les plages d'Agnès, film autobiographique sorti en 2008. Entre autodérision et rétrospection, elle y dresse un autoportrait étonnant où le voyage biographique n'est rien d'autre qu'un voyage dans le cinéma lui-même.

Il n'est pas évident de réaliser un autoportrait affranchi de narcissisme. L'entreprise elle-même peut poser problème : quel intérêt l'artiste porte-t-il à sa propre image au point d'en faire une œuvre ? Varda ne répond pas à la question, mais fait mieux : elle montre que dans son cas, la question n'a pas à se poser. Constamment autoréflexives, les images que propose la cinéaste sont ses images, dans les deux sens : les images qu'elle réalise, les images de son intimité. Le regard rétrospectif qu'elle porte sur elle-même et sur ses œuvres ne fait que mettre en évidence que la question de l'autoportrait se constitue chez elle comme un dispositif d'images qu'elle assume, parce qu'elle a toujours vécu avec, dans, pour, à travers ces images. Aussi le jeu de miroirs sur la plage qui ouvre le film fonctionne-t-il sur le principe du regard inlassablement renvoyé, annonçant l'histoire touchante d'une femme qui habite le cinéma parce que le cinéma l'habite.

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Le motif de la plage prend alors tout son sens : elle est la métaphore de la vie et du cinéma comme lieux du temps qui défile, rythmé par les vagues et les rencontres éphémères avec soi-même et les autres. La plage est le lieu où les inscriptions dans le sable se dérobent instantanément, celui où l'image n'est que provisoire et où le quotidien et la répétition étonnent parce qu'on les regarde comme s'ils étaient insolites. Dans Les plages d'Agnès, Varda joue de temps en temps à la vieille qui n'est plus de ce temps, mais en réalité, son personnage raconte, lit, réfléchit, pleure et sourit comme une jeune enfant qui regarde le présent avec une fraîcheur qui fait perdre à l'âge et au temps leur linéarité.

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Ce rapport qu'établit Agnès Varda entre vie intime et cinéma la transforme en artiste contemporaine qui conçoit d'une part le cinéma comme dispositif de rencontre, et d'autre part le monde comme installation d'images. Lorsqu'elle s'émeut, assise au milieu de son exposition de photographies, on ne sait plus si elle expose les photos parce qu'elle les pleure ou si elle les pleure parce qu'elle les expose. L'attention particulière qu'elle accorde à l'exposition et aux installations d'images ne fait que souligner ce parallélisme incessant chez l'artiste entre le défilement de la vie et celui d'une pellicule. Construite avec des pellicules filmiques, sa Cabane de l'échec est le lieu où est rendue littérale cette correspondance : l'image devient le vitrail d'un asile presque monastique et le cinéma, en plus d'être un prétexte pour aller à la rencontre de l'humain, devient le lieu où on peut mieux le voir, l'observer, et littéralement scruter son évolution et ses gestes, image par image.

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Lorsqu'elle installe un projecteur et un écran sur une vieille charrette, c'est pour montrer à ces enfants devenus adultes l'image en mouvement qu'elle a pu capturer de leur père, des années auparavant : un mouvement de la pellicule, et un mouvement dans la ruelle, puisqu'elle demande aux adultes de pousser la charrette en même temps qu'ils regardent le film, et donc de faire tourner les roues en même temps que les bobines. Revenir sur les lieux, les traverser à nouveau, à reculons, et observer le travail du temps, ce sont là les questionnements qui préoccupent généralement Varda, a fortiori dans Les plages d'Agnès, où la pellicule est cette fois celle de la mémoire et où la ruelle est constamment une salle de cinéma.

C'est dans cette conscience pointue et intelligente que se construit Les plages d'Agnès : presque toujours, l'image est dans l'image et le conte biographique n'a pas besoin d'images illustratives puisqu'il émerge lui-même entièrement de la mise en regard de ces images. Contrairement à un grand nombre de biographies, ici, ce n'est pas l'image qui est au service du commentaire, mais vraisemblablement le contraire. Qu'elle soit au marché aux puces ou invitée dans la maison de son enfance, Varda se met à la recherche parfois désillusionnée d'images, de souvenirs et d'émotions : « Le jardin est bien là, mais pas l'émotion. Aucun souvenir de jeux et de larmes ». Que peut dès lors le cinéma ? Quel rôle a-t-il joué dans la vie de la cinéaste ? Comment a-t-elle pensé – toujours en images – son rapport au monde, aux drames, à son mari Jacques Demy (décédé en 1990), à ses enfants, à ses propres films ?

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Les plages d'Agnès offre des éléments de réponse passionnants, parce que malgré certains tourments, toujours colorés et reluisants. Et s'il y a une once de kitsch, c'est surtout une touche d'humour léger destinée à dédramatiser la gravité, sans pour autant la nier, mais plutôt parce qu'il est surtout question de « vivre au jour le jour ». Comme au cinéma, pour Varda, les choses qui se passent sont en réalité des choses qui passent.

 

Abdelhamid Mahfoud
Septembre 2010


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Abdelhamid Mahfoud est étudiant en 2e année de master en Arts du spectacle, finalité spécialisée en Cinéma documentaire

 


 

 

Les plages d'Agnès, 2008, 110'

Projection unique en présence d'Agnès Varda le mardi 21 septembre à 20h00
au Cinéma Sauvenière