Du boulet à Liège

Recette actualisée, pour 4 personnes

 boulet

500 g de bœuf ou de veau haché, 250 g de lard gras ou d'entrelardé frais haché, noix de muscade, sel, persil, marjolaine, échalotes, 2 ou 3 œufs, panure, beurre, bouillon, verjus (ou vinaigre)4, 1 feuille de laurier, 1 tranche de citron.

Mélanger le bœuf et le lard hachés avec la noix de muscade, le sel, l'échalote, le persil et la marjolaine. Lier le tout avec les œufs. Rouler de petits boulets dans la main à l'aide de panure.
Faire blondir du beurre dans une casserole et y faire revenir les boulets. Ôter la graisse de la casserole. Ajoutez du bouillon, du verjus, une feuille de laurier et du citron. Remuez bien afin que la sauce se lie. Laisser mijoter au court bouillon pendant 20 minutes.

Et voilà le boulet « liégeois » du 18e siècle. Remarquez que la sauce est particulièrement acide et pas sucrée comme aujourd'hui !

 

Des origines lointaines

Interrogeons-nous maintenant sur les antécédents de notre boulet, car il est évident que l'utilisation de la viande hachée s'utilise depuis des siècles.

Ne nous perdons pas dans de vaines considérations sur l'usage du hachis préhistorique, comme on en rencontre dans les monographies de la boulette. Le manque de document ne peut nous mener qu'à des conclusions vagues et sans grand fondement. Par contre, nous pouvons affirmer avec certitude qu'il existe des plats de viande hachée façonnée à la main et bien aromatisée dans la gastronomie gréco-romaine5. L'esicium d'Apicius est de la viande ou du poisson haché puis pilé au mortier. On le traduit par « quenelle ». Cette dernière se compose au choix de calmar, de cervelle, de porc, de crevettes, de faisan, de homard, de langouste, de lapin, de lièvre, de paon, de poulet, de seiche, de spondyles (coquillages) ou de squilles (crevettes). Elle peut se lier à l'œuf et s'accompagner de sauce.

En outre, les viandes hachées farcissent des feuilles de laurier, des crépines, du poulet ou de l'estomac de porc. Ce dernier est rempli d'une farce composée de viande de porc battue et pilée avec de la cervelle, des œufs et des pignons, aromatisée au poivre, à la livèche, au laser, à l'anis, au gingembre, à la rue, au garum (nuoc-mam) et à l'huile.

Bref, chez les Grecs et les Romains, on confectionne déjà des recettes de hachis de viande bien épicées et on les façonne à la main pour les servir en sauce. D'autres fois, on s'en sert comme farce.

Ensuite, on retrouve les boulettes chez les auteurs des recueils de recettes abbassides (10e siècle) et maghrébo-andalous (12e, 13e siècles) qui perpétuent en partie la tradition gréco-romaine à une époque où il n'existe pas de livres de cuisine occidentaux. L'Ahrash andalous se compose de mouton mariné dans de la sauce au poisson (nuoc-mam actuel), du vinaigre, de l'huile d'olive, de l'ail, du poivre, du safran, du cumin, de la coriandre, du nard, de la cannelle, du gingembre, des clous de girofle, le tout haché finement, mêlé à du beurre et des œufs, façonné en boulettes et revenu dans de l'huile6.

 

À la base de nos boulettes

Dans la littérature culinaire française, la boulette prend de l'importance à partir du 18e siècle.

Le hachis de viande devient le nec plus ultra dans la gastronomie occidentale de l'Époque Moderne. Les aliments sont finement hachés, mélangés et parfumés pour donner des mets quelque peu déconcertants pour les amateurs du bon vieux rôti cuit à la broche qui a dominé les tables aristocratiques médiévales. La base de la farce de viande hachée s'appelle le godiveau. En voici la recette élaborée par Vincent la Chapelle (1742) :

Vous prendrez une livre de veau, trois quarterons de graisse de bœuf, & un morceau de lard, le tout crûd ; vous le ferez hacher fort fin, & l'assaisonnez de persil, ciboules, échalotes, sel, poivre, & épices douces ; le tout étant bien haché, vous y mettrez un couple d'œufs crûs, & un peu de farine, & le ferez bien piller ; étant pilez, vous le rendrez mollet & avec du lait ou crème7.

Si nous comparons cette recette à celle du boulet d'Havelange, qui est la nôtre, la formule est presque la même. La nature de la viande varie, car au 18e siècle, on préfère encore le veau au bœuf. Pour le reste, ce n'est qu'une question de détails.

Il existe de nombreux dérivés de godiveaux. Ils se composent de viande ou de poisson, de poulet, de perdrix, de veau ou de lard. On les utilise pour farcir, pour confectionner des andouillettes ainsi que des boulettes dont on agrémente, par exemple, le pâté de langues de mouton8 ou la tourte de godiveau9.

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Michel Barthélemy Olliver, Souper du prince de Conti au Temple, 1766. Les mélanges de viandes finement hachées et aromatisées sont très caractéristiques de la cuisine moderne. Les boulettes de veau, mouton, faisan ou perdrix agrémentent des potages à base de fonds particulièrement sophistiqués. Nous sommes bien dans une cuisine luxueuse et raffinée bien illustrée par ce tableau.
 
 

4 Le verjus, jus de raisin immature, se trouve dans les épiceries fines.
5 Voir les articles A la table d'Apicius, 1 et 2.
6 Liliane Plouvier, L'Europe à table, t. 1, Bruxelles, 2003, p. 172.
7 Vincent la Chapelle, Le cuisinier moderne, t. 2, Paris, 1742, p. 137, 138.
8 Idem, t. 2, p. 142.
9 Menon, Les soupers de la cour, Paris, 1755, t. 3, p. 234.
 
 

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