Du boulet à Liège

Il est inutile de présenter le boulet, fleuron de la gastronomie populaire liégeoise. Il est tout aussi inutile de  préciser que le procédé consistant à hacher la viande et à la modeler en boule remonte probablement à la plus haute antiquité. La petite enquête que nous vous proposons s'interroge sur le cheminement de cette fameuse boulette ou boulet, jusqu'à sa forme presque définitive adoptée dans nos régions au 18e siècle. Nous verrons que ce mets, au départ, n'a rien d'un plat populaire. Contrairement à ce qu'on peut lire sur le sujet, la boulette s'inscrit dans la haute gastronomie française et ne se diffuse dans le peuple que lorsque ce dernier obtient les moyens de se payer ses composants, à savoir la viande et les épices.

 

Un petit peu d'étymologie

« Boulet » ou « boulette » signifie petite boule. Nous trouvons pour la première fois le terme boulecte dans le Mesnagier de Paris, à la fin du 14e siècle, dans la confection d'un pâté1. Le mot entre dans le dictionnaire de l'Académie française en 1762 avec comme définition « Petite boule de chair hachée. D'excellentes boulettes. On fait des boulettes de viande hachée, qu'on met dans les ragoûts & dans les pâtés. » Dans le Dictionnaire critique de la langue française de 1788, on précise que boulette « ne se dit que des petites boules de chair hachée ». Boulette serait donc au départ un terme exclusivement gastronomique.

« Boulet », quant à lui, n'est présent dans aucun dictionnaire dans sa définition culinaire. Son usage est pourtant ancien, mais régional. Lancelot de Casteau, le maître queux liégeois (16e siècle) utilise le terme « boulets ».

Prennés les mesmes poissons hachés [carpe, saumon et hareng séché], & mettés deux iaunes d'oeufs deuant que le poisson soit fricassé, & faictes de ces poissons des petits boulets comme des esteuues, & les faictes estuuer auec vn peu d'eau & du vin, & du beurre, de la mente, & mariolaine, & serués ainsi sept ou huict en vn plat.2

Nous tenons à préciser aux lecteurs du Petit traité de la boulette paru en 2009 que Lancelot de Casteau confectionne bien des boulets, mais qu'il n'a jamais préparé de pommes de terre frites, ni cuisiné de pommes de terre du tout,  contrairement à ce qu'on prétend généralement, rumeur aussi tenace que mensongère.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos poissons. Car Lancelot de Casteau ne parle que de boulet de poisson, semblables à ceux que nous retrouvons dans un manuscrit inédit du 18e siècle retrouvé près de Havelange et dont nous avons déjà parlé dans un article précédent3. Le terme « boulet » y revient très souvent. Outre celui de poisson, on y rencontre le boulet d'œufs et le boulet de foie de veau et de porc. Mais une surprise de taille nous y attend. À la page 19 du manuscrit, figure la recette « Pour faire des boulets », quasiment identique à celle d'aujourd'hui. C'est la première formule aussi proche de la nôtre connue jusqu'à ce jour.

Le boulet au 18es.

L'auteur anonyme du manuscrit donne une version du boulet avec bœuf et lard haché, avant de préciser qu'il est meilleur avec du veau. En effet, comme nous le verrons plus loin, les hachis du 18e siècle sont confectionnés de préférence avec le veau, la viande reine jusqu'au 19e siècle.

 

Boulet1
Boulet2

 

 


 

1 Le mesnagier de Paris, texte édité par Georgina E. Bereton t Janet M. Ferrier, Lettres gothiques, Paris, 1994, p. 738.
2 Lancelot de Casteau, Ouverture de cuisine, Liège, 1604, p. 25.
3 Oiseau, rat, paupiette et fricandeau.

 

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