La ligne William Klein

Dans l'histoire des arts visuels, William Klein apparaît comme une fissure dans un mur, une faille qui ouvre le sol, une fêlure qui brise les masses les plus dures. Son parcours est une ligne qui part de la peinture, bifurque vers la photographie de rue d'un côté, de mode de l'autre, creuse un sillon dans le cinéma documentaire, un autre dans la fiction déjantée, traverse de part en part la publicité, met en page des affiches, des livres et des couvertures de disques, agrandit démesurément des planches contacts puis les peinturlure de couleurs vives, met la pub dans ses photos, la photo dans ses films, ses films au musée, le musée dans un film. Néanmoins, peintre, photographe et cinéaste, Klein est peut-être avant tout un graphiste qui écrit avec des points, des lignes, des plans, des couleurs et, tout en dénonçant un monde qui a perdu toute profondeur, ramène l'image à sa dimension fondamentale : la surface.

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La ligne Klein associe entre eux des univers disparates. Elle relie les gosses de Harlem, photographiés en 1954, et Cassius Clay « The Champ' » filmé en deux temps (1964 et 1974) pour le long métrage documentaire Muhammad Ali The Greatest ; les lumières, les silhouettes et les lettrages de Broadway (pour son premier film, plutôt expérimental, Broadway by Light, en 1958) et la foule circulant dans l'exposition rétrospective du centre Pompidou en 2005 ; les photos de mode pour Vogue et la description au vitriol du milieu snob de la haute couture parisienne dans Qui êtes-vous Polly Magoo ? (1966) ; les Grands soirs et petits matins de Mai 68 et le superbe docu-oratorio Le Messie (1998) qui fait entendre le chef-d'œuvre de Haendel sur les images crues du monde actuel ; la farce anti-capitaliste loufoque qu'est Mister Freedom (1967), la satire du contrôle social dans Le couple témoin (1976) et quelque 250 films publicitaires. Tous ces mondes qui n'en forment pourtant qu'un seul – le nôtre – sont traversés par la ligne Klein qui zigzague entre eux comme un éclair, une biffure, une griffe, un tag. Une signature. Chaque image peinte, photographiée ou filmée, posée comme une photo de mode ou bousculée comme un plan de cinéma filmé dans la foule, prise sur le vif d'une réalité brute ou sortie de l'imaginaire délirant de son auteur, est une écriture visuelle qui trace sur le support les lignes et les couleurs d'un monde éclaté. Une écriture qui décrypte les apparences de la société contemporaine et qui, levant le voile de la soi-disant « civilisation de l'image », selon les mots de Fulchignoni, en dénonce l'insupportable platitude.


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