Après s'être égarée dans le purgatoire de la gastronomie pendant plusieurs siècles, la sauce émulsionnée froide stable revient en force dès l'aube du 19e siècle sous le nom de « mayonnaise ». Dans l'histoire de la cuisine, on ne lui connaît aucun autre antécédent que les sauces antique et médiévale dont nous avons parlé dans la première partie. Nous allons assister maintenant à la naissance de la mayonnaise telle que nous la connaissons aujourd'hui avant de proposer une hypothèse sur son origine.
Enfin naquit la mayonnaise
En 1803, l'ultra chic restaurant Véry propose à sa carte de la « Mayonnaise de Poulet » comme entrée de volaille1. S'il s'agit de la première trace de mayonnaise que nous avons retrouvée, une étude approfondie des cartes des restaurants parisiens de la fin du 18e siècle permettrait peut-être de remonter quelques années plus tôt.
En 1806, Viard est le premier auteur à donner des recettes de mets à la mayonnaise dans un livre de cuisine2. Hélas, il ne précise pas celle de la sauce, qui n'est dévoilée qu'en 1814, dans l'Art du cuisinier, d'Antoine Beauvilliers. À cette époque, la mayonnaise est prise soit au jaune d'œuf, soit à la gelée :
Mettez dans un vase de terre trois ou quatre cuillerées à bouche d'huile fine, et deux de vinaigre d'estragon ; joignez-y estragon, échalotes, pimprenelles, hachés très-fin, sel, gros poivre, en suffisante quantité, deux ou trois cuillerées à bouche de gelée ou d'aspic ; remuez bien le tout avec une cuiller : la sauce se liera et formera une espèce de pommade. Goûtez-la : si elle était trop salée ou trop vinaigrée, mêlez-y un peu d'huile ; en cas que vous la vouliez claire, concassez la gelée avec votre couteau, et mêlez-la légèrement avec votre assaisonnement.3
Chapon en sauce mayonnaise du cuisinier Albert
Tous ces mets à la mayonnaise sont des entrées ou des hors-d'œuvre. Ils sont présentés avec soin et peuvent atteindre un degré de sophistication très élevé, notamment chez Antonin Carême4. Voici la recette de la mayonnaise et celle du chapon en mayonnaise d'Albert, cuisinier de l'oncle de Napoléon 1er, le cardinal Joseph Fesch.
Sauce Mayonnaise
Mettez dans un bol de faïence un ou deux jaunes d'œufs crus, avec du sel et le jus d'un citron ; ajoutez de l'huile peu à peu, en tournant sans cesse ; votre sauce ne tardera pas à s'épaissir ; mettez-y de temps en temps un peu de fort vinaigre aromatique : vous pouvez y ajouter de l'huile, tant que la sauce ne perd pas de sa consistance ; servez-vous-en pour les salades de poissons, de volailles et de légumes cuits.5
Notre seul commentaire concernant la confection de la mayonnaise est que, contrairement à plusieurs idées reçues, il n'est absolument pas nécessaire d'ajouter de la moutarde pour faire prendre la sauce, ni de cuire le jaune d'œuf avec du sel, ni d'utiliser un jaune d'œuf à température ambiante.
Chapon en Mayonnaise.
Coupez en morceaux un chapon rôti ; faites-les mariner avec de l'huile, du vinaigre aromatique, sel, gros poivre, cerfeuil, civette, pimprenelle et estragon hachés ; dressez vos morceaux sur un plat ; entourez-les d'un cordon d'œufs durs, d'anchois, de cornichons et de câpres hachés ; versez par-dessus une mayonnaise.6
Recette actualisée, pour 4 personnes
1 poulet de 1,400 g, huile d'olive, vinaigre aromatique (à l'estragon par exemple), cerfeuil, ciboulette, pimprenelle, estragon, 2 œufs, 8 anchois, cornichons, câpres, sel, poivre, mayonnaise.
Cuire le poulet au four à 200° pendant 45 à 50 minutes.
Préparer les œufs durs. Préparer la marinade avec l'huile, le vinaigre, le sel, le poivre, le cerfeuil, la ciboulette, la pimprenelle et l'estragon hachés.
Prélever la chair du poulet rôti et l'enduire de la marinade. Laisser mariner 2 heures.
Dresser les morceaux de poulet au milieu d'un plat. Découper les œufs en quartiers. Les disposer perpendiculairement autour du plat. Séparer les anchois en deux et les disposer en croix sur les œufs. Découper les cornichons en cubes. Remplir un intervalle sur deux de cornichons et l'autre de câpres hachés.
Dresser la mayonnaise sur la garniture.
1 Edmund John Eyre, Observations made at Paris during the peace, London, 1803, p. 117.