Victor Burgin
(c)Hendrik Speck350

Depuis la fin des années 60, le Britannique Victor Burgin propose un travail artistique et théorique sur l'image, toujours envisagée dans ses relations multiples et complexes avec les contextes sociaux et politiques. L'universitaire ne vient jamais doubler ou concurrencer l'artiste. Le propre du parcours de Burgin est d'avoir su, tout au long des quatre dernières décennies, articuler pratique et théorie des images dans un dialogue d'enrichissement mutuel.

Artiste visuel, écrivain, professeur d'université, théoricien de l'image en général et de la photographie en particulier, Victor Burgin est né à Sheffield en 1941. Il étudie la peinture et les arts plastiques au Royal College of Art de Londres entre 1962 et 1965, poursuit ses études à la Yale University de New Haven où il suit l'enseignement de Robert Morris et dont il sort diplômé en 1967. Proches de l'art minimaliste et structuraliste, ses premières œuvres, datant de 1969, sont uniquement constituées de textes mis en espace (une suite d'instructions écrites et numérotées invite le visiteur à l'exploration de son entourage, spatial ou temporel). L'intérêt de Burgin pour l'art conceptuel est manifeste dans cette réflexion sur la relation entre les codes du langage et la manière dont ils permettent d'appréhender l'environnement. L'artiste restera cependant attaché aux capacités de l'œuvre d'art à susciter les projections fantasmatiques, imaginaires, mémorielles et émotives du spectateur. 

Initialement formé à la peinture (son approche du monde reste marquée, dit-il, par sa découverte du cubisme), Burgin va progressivement se consacrer aux images mécaniques et numériques. D'abord intéressé par la photographie (qu'il envisage comme un acte politique) avant d'investir le champ de la vidéo digitale dans les années 90, Burgin considère l'art comme une pratique sociale et sémiologique dont les signes, les codes et le sens ne peuvent pas être séparés de ceux qui parviennent d'autres types d'images (la publicité, la mode, le reportage, la propagande pour n'en citer que quelques-uns...). L'image est toujours prise dans un réseau. Burgin, tant dans ses œuvres d'art que dans ses essais théoriques, expose les liens complexes en jeu dans les images entre le psychique, le social, la sexualité et la politique, dans un travail transdisciplinaire qui relie les médias, la culture, l'art et la question de la construction du Sujet (d'inspiration lacanienne, sa démarche photographique, au cœur des années 70, combinant images documentaires en noir et blanc et textes retranscrits dans la forme des slogans publicitaires issus des magazines illustrés, en est un exemple emblématique). En miroir de son questionnement des idéologies et des représentations qui semblent régir les domaines de la culture, du divertissement et du commerce, Burgin a souvent placé au cœur de sa réflexion le rôle du spectateur qui, par sa lecture et son interprétation de l'œuvre d'art, en produit le sens bien plus qu'il ne le reçoit. En conséquence, Burgin élabore des récits composés de textes et d'images éclatés, troués, infiniment ouverts à la projection subjective du visiteur ou du spectateur. Dernièrement, son installation Hotel D (2009) pour l'Hôtel-Dieu Saint-Jacques, à Toulouse, se compose d'une série d'images de la salle des Pèlerins projetées au sein même de cette salle, puis d'une voix off diffusée dans la chapelle adjacente. De la sorte, Burgin propose une évocation de son expérience à l'Hôtel-Dieu qui se mêle inéluctablement aux impressions de l'espace du visiteur, suscitées par les jeux entre, d'une part, les mots et les images et, d'autre part, les allées et venues entre les deux salles.

performative narrative

performative narrative

Nommé en 1986 pour le prestigieux Turner Prize, Victor Burgin a exposé son travail photographique et vidéographique dans de nombreux lieux internationaux de premier plan, dont le Museum of Modern Art de New York, le Museum of Contemporary Art de Los Angeles, la Tate Gallery de Londres ou encore le Centre Georges Pompidou de Paris. Certaines expositions auxquelles il a pu prendre part (When Attitudes Became Form en 1969 ou Three Perspectivs on Photography en 1979) sont aujourd'hui entrées dans l'histoire de l'art contemporain. Parmi ses œuvres les plus connues, il faut certainement citer Performative / Narrative (1971) qui se compose d'un ensemble de seize photographies et de seize textes qui évoquent des scènes multiples de bureau que le spectateur doit autant décoder qu'imaginer UK76 (1976) et US77 (1977) qui détournent les codes du publi-reportage ; Framed (1977) qui combine la photographie d'une affiche publicitaire pour les cigarettes Marlboro et un texte (inscrit sur le cliché) qui évoque une femme inquiétée par sa propre image dans le reflet d'un miroir (l'apparente déconnexion des deux éléments invite bien entendu le spectateur à s'interroger sur les réseaux de significations qui traversent l'image) Olympia (1982) qui fait allusion, dans la même image photographique, à Manet, Hitchcock et Hoffman ; The Bridge (1984) qui rapproche l'Ophelia de John Everett Millais de la Kim Novak du Vertigo d'Alfred Hitchcok, Office at Night (1986) qui reconstruit autant qu'il déconstruit à l'aide de photographies et de pictogrammes la célèbre toile d'Edward Hopper ; ou encore Fiction Film (1991) qui fige des images mentales, réminiscentes et cinématographiques.

Son parcours académique n'est pas moins prestigieux. Victor Burgin est l'un des artistes enseignants les plus reconnus sur la scène internationale. Il a notamment enseigné à à l'Université de Londres (Millard Professor of Fine Art au Goldsmiths College), à l'Université de Californie (Santa Cruz), dans une haute école d'art et d'architecture à New York (Cooper Union for the advancement of Science and Art),  à la European Graduate School (Suisse).Burgin a également été honoré à la Hallam University de Sheffield. Les travaux théoriques et artistiques de Victor Burgin, souvent décrits comme un mélange de rigueur conceptuelle et d'élégance poétique, sont eux-mêmes devenus aujourd'hui les sujets de nombreuses études universitaires.

Thinking Photography  In different spaces  The rememored film  voyage to Italy

Victor Burgin est enfin l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages. Parmi ses livres les plus influents, Thinking Photography, publié en 1982, renouvela fondamentalement le discours sur la photographie en instaurant son analyse idéologique. Between (1986), In different Spaces : Place and Memory in Visual Culture (1996), The Remembered Film (2004) ou le plus récent Voyage to Italy (2007) qui, inspiré par une photo de Pompéi de Carlo Fratacci datant de 1864, lie les questions de destruction et de préservation archéologique à l'essence même de la création photographique, continuent d'interroger les liens entre l'espace et l'inconscient. Comme il le laisse entendre lui-même, le fil rouge de son travail, qu'il soit artistique ou théorique, est peut-être tout simplement la manière dont les expériences de la vie réelle sont perçues à travers la médiation du souvenir et du fantasme. 

 

Dick Tomasovic
Août 2010

 

crayon

Dick Tomasovic enseigne au Département des Arts et Sciences de la communication -  Théories et pratiques du spectacle (vivant ou enregistré).



Portrait de Victor Burgin © European Graduate School - Hendrik Speck