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Santiago Calatrava ou la poétique des structures

26 August 2010
Santiago Calatrava ou la poétique des structures

(c)SuzanDeChillo NewYorkTimes

En remettant un doctorat honoris causa à Santiago Calatrava, l'Université de Liège rend hommage à un homme dont l'œuvre transcende les cloisonnements disciplinaires pour retisser des liens souvent oubliés entre art et ingénierie, entre mécanique et sensualité. Auteur à ce jour de plus de 70 œuvres construites ou en cours de construction, de Malmö à Ténériffe et de Chicago au Qatar en passant par la Cité ardente, il est de ceux qui dominent aujourd'hui la scène internationale de l'architecture monumentale et du génie civil. Ses œuvres imposent leur signature au paysage de villes parmi les plus importantes du monde, provoquant dans leur sillage les tumultueux remous de débats passionnés entre émules et pourfendeurs d'un artiste qui ne laisse personne indifférent.

Né en 1951 près de Valence, Calatrava est loin d'être un autodidacte. Intéressé par le dessin dès l'enfance, il enchaine à des formations d'art et d'architecture dans sa ville natale, avec spécialisation en urbanisme, une maîtrise puis un doctorat à l'Eidgenössische Technische Hochschule de Zurich. Dans sa thèse, portant sur « la pliabilité des structures tridimensionnelles » (1981), il explore la topologie et la manière dont une structure complexe proche de la demi-sphère peut se transformer en un faisceau de lignes parallèles, augurant ainsi de l'intérêt soutenu pour le mouvement qui sous-tendrait ses recherches futures. 

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gareZurich

La renommée de Calatrava est rapide : sa transformation de la gare de Stadelhofen (1983-1990), à Zurich, où il établit son premier bureau en 1981 (Paris, Valence et New-York suivront, au gré des grandes commandes), et le pont Bach de Roda à Barcelone (1987-1992), réalisé en prévision des jeux olympiques, soulèvent immédiatement l'intérêt de la critique et posent les premiers jalons d'une carrière plutôt fulgurante. Dès le début de la décennie suivante, des expositions monographiques lui sont consacrées par des institutions aussi prestigieuses que le Royal Institute of British Architects de Londres (1992) ou le Museum of Modern Art de New-York (1993). Par la suite, Calatrava exposera entre autres à Florence, Dallas, Athènes et Tokyo et se verra attribuer de nombreux prix et distinctions, parmi lesquels la Grande médaille d'or de l'Académie d'architecture de Paris en 2004 et la Médaille d'or de l'American Institute or Architects en 2005. 

Ci-contre : Gare de Stadelhofen, Zurich, 1983-1990 © Jakub Niezabitowski
 
Malmo

Bien que certaines de ses productions récentes illustrent un intérêt pour la construction de logements à (très) grande échelle (en témoignent le Turning Torso  de Malmö (1999-2005) ou la Chicago Spire (2006-2009)), c'est dans la construction de ponts en tout genre, d'infrastructures de transports et de grands édifices publics que l'architecte catalan s'est principalement illustré. Se basant sur une connaissance approfondie de la tradition, Calatrava est en recherche perpétuelle de transgression, de dépassement, explorant et revendiquant tous les possibles de la technologie la plus pointue au service d'une architecture qui fait sens, et in fine, de l'homme.

 

Turning Torso, Malmö, 1999-2005
© Second shot

Si son œuvre est disséminée sur plusieurs continents, nul besoin d'entreprendre un tour du monde pour pénétrer l'univers de Calatrava. Liège suffit actuellement, non seulement par la présence de la gare mais peut-être surtout par l'exposition qui présente, au Grand Curtius, une sélection des œuvres sculptées de l'artiste. Car, comme l'avait déjà montré en 2005-2006 une importante exposition au Metropolitan Museum de New-York, les recherches de l'architecte passent d'abord par la main de l'artiste. Sculpteur, céramiste, aquarelliste, dessinateur, Calatrava exprime dans ses œuvres sa passion pour le corps, la nature, la lumière, la matière, le mouvement, les textures, la vie des formes. Son travail sur le corps illustre l'ambivalence de sa démarche, allant du corps-mesure au corps sensuel, qui transparait dans les figurations de ses aquarelles – et serait à l'origine des courbes de la gare liégeoise – en passant par le corps mécanique, abstrait, réduit à son essence structurelle dans la série des « cubes », qui explore des postures dont certaines seront transcrites en architecture. De projet en projet, la main, les bras levés, la jambe, l'œil informent la structure et lui ajoutent, au-delà de l'anthropomorphisme et de l'anthropométrie, une portée symbolique et une dimension humaine qui transcende la monumentalité.

 

 

toronto

Plus largement, Calatrava revendique l'importance de la nature comme source d'inspiration : feuilles, pétales, palmiers, arbres se déploient pour envelopper l'espace. Observant les colonnes inclinées de la gare de Stadelhofen ou les deux rangées « d'arbres » de la galerie de BCE Place à Toronto, on ne peut que penser à son illustre compatriote Antoni Gaudi, qu'il rejoint aussi par l'usage de l'arc parabolique scandant l'espace, comme dans les sous-sols de la gare liégeoise. Souvent, la lumière qui traverse les structures réanime leur mouvement cristallisé et le processus de création des formes. Mais parfois le mouvement est bien réel : dans la foulée de ses recherches doctorales, Calatrava explore dans son œuvre sculptée et architecturale le mouvement qui transforme des structures planes ou linéaires en structures tridimensionnelles courbes. Ainsi, partant de ses premiers projets comme l'entrepôt de Coesfeld (1983-85), où les portes se replient pour former des auvents, il en arrive à des mouvements d'envergure monumentale.

Valence

À la Cité de la Science de Valence (1999-2004), le planétarium évoque le mouvement d'une paupière alors qu'au Musée d'Art de Milwaukee (1994-2001), un immense pare-soleil suggère l'envol d'un oiseau. Dans des projets plus modestes comme la fontaine d'Alcoi ou une entrée du métro de Valence, les structures se confondent avec le sol quand elles ne sont pas en usage, et même le béton, que l'on croyait immobile, s'anime dans la Shadow Machine, exposée dans la cour du MoMA en 1993 puis à la Biennale de Venise.

Ci-dessus : À gauche : Toronto, BCE Place, 1987-1992 © Sharon Kennedy - À droite :  Planétarium de la Cité des Arts et des Sciences, Valence, 1999-2004 © Hannu Liivaar

 

Séville

C'est dans la construction de ponts, au programme plus épuré, que Calatrava pousse le plus loin l'expression du mouvement, l'expérimentation et la liberté structurelle. Abandonnant souvent le principe de symétrie au profit d'une composition dynamique pour dialoguer avec le paysage ou le flux des déplacements, il exploite de manière inédite et audacieuse les phénomènes de la torsion et de l'équilibre des forces. Ses ponts à arche inclinée (Orléans, Bilbao, Liège par exemple), ou l'incroyable pylône incliné du pont Alamillo de Séville, équilibrant par son seul poids la traction exercée par le tablier sur les haubans, donnent l'impression au spectateur de surprendre un mouvement en suspens plutôt que d'observer une structure fixe et stable.

Pont Alamillo, Séville, 1987-1992 © Francisco Javier Alcerrecia Gomez

Tout en faisant appel aux technologies les plus pointues, l'œuvre de Calatrava est intemporelle par ses sources d'inspiration et sa limpidité conceptuelle. Par delà les siècles, elle illustre et nous rappelle l'idéal vitruvien, équilibre parfait entre efficacité et beauté. Et si l'emphase et la démesure de ses réalisations sont fréquemment reprochées à l'architecte, il faut admettre qu'elles ne sont qu'à l'échelle de la générosité des intentions de cet humaniste contemporain.

 

Claudine Houbart
Août 2010

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Claudine Houbart enseigne l'histoire de l'architecture et la conservation du patrimoine à la Faculté d'architecture. Ses principales recherches portent sur la théorie et l'histoire de la conservation-restauration aux 19e et 20e siècles.
 

 



Voyez aussi le dossier : La gare de Calatrava et les nouveaux visages de Liège et notamment les articles :

 



Portrait © Suzanne De Chillo - New York Times

 


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