En remettant un doctorat honoris causa à Santiago Calatrava, l'Université de Liège rend hommage à un homme dont l'œuvre transcende les cloisonnements disciplinaires pour retisser des liens souvent oubliés entre art et ingénierie, entre mécanique et sensualité. Auteur à ce jour de plus de 70 œuvres construites ou en cours de construction, de Malmö à Ténériffe et de Chicago au Qatar en passant par la Cité ardente, il est de ceux qui dominent aujourd'hui la scène internationale de l'architecture monumentale et du génie civil. Ses œuvres imposent leur signature au paysage de villes parmi les plus importantes du monde, provoquant dans leur sillage les tumultueux remous de débats passionnés entre émules et pourfendeurs d'un artiste qui ne laisse personne indifférent.
Né en 1951 près de Valence, Calatrava est loin d'être un autodidacte. Intéressé par le dessin dès l'enfance, il enchaine à des formations d'art et d'architecture dans sa ville natale, avec spécialisation en urbanisme, une maîtrise puis un doctorat à l'Eidgenössische Technische Hochschule de Zurich. Dans sa thèse, portant sur « la pliabilité des structures tridimensionnelles » (1981), il explore la topologie et la manière dont une structure complexe proche de la demi-sphère peut se transformer en un faisceau de lignes parallèles, augurant ainsi de l'intérêt soutenu pour le mouvement qui sous-tendrait ses recherches futures.
La renommée de Calatrava est rapide : sa transformation de la gare de Stadelhofen (1983-1990), à Zurich, où il établit son premier bureau en 1981 (Paris, Valence et New-York suivront, au gré des grandes commandes), et le pont Bach de Roda à Barcelone (1987-1992), réalisé en prévision des jeux olympiques, soulèvent immédiatement l'intérêt de la critique et posent les premiers jalons d'une carrière plutôt fulgurante. Dès le début de la décennie suivante, des expositions monographiques lui sont consacrées par des institutions aussi prestigieuses que le Royal Institute of British Architects de Londres (1992) ou le Museum of Modern Art de New-York (1993). Par la suite, Calatrava exposera entre autres à Florence, Dallas, Athènes et Tokyo et se verra attribuer de nombreux prix et distinctions, parmi lesquels la Grande médaille d'or de l'Académie d'architecture de Paris en 2004 et la Médaille d'or de l'American Institute or Architects en 2005.
Ci-contre : Gare de Stadelhofen, Zurich, 1983-1990 © Jakub NiezabitowskiBien que certaines de ses productions récentes illustrent un intérêt pour la construction de logements à (très) grande échelle (en témoignent le Turning Torso de Malmö (1999-2005) ou la Chicago Spire (2006-2009)), c'est dans la construction de ponts en tout genre, d'infrastructures de transports et de grands édifices publics que l'architecte catalan s'est principalement illustré. Se basant sur une connaissance approfondie de la tradition, Calatrava est en recherche perpétuelle de transgression, de dépassement, explorant et revendiquant tous les possibles de la technologie la plus pointue au service d'une architecture qui fait sens, et in fine, de l'homme.
© Second shot
Si son œuvre est disséminée sur plusieurs continents, nul besoin d'entreprendre un tour du monde pour pénétrer l'univers de Calatrava. Liège suffit actuellement, non seulement par la présence de la gare mais peut-être surtout par l'exposition qui présente, au Grand Curtius, une sélection des œuvres sculptées de l'artiste. Car, comme l'avait déjà montré en 2005-2006 une importante exposition au Metropolitan Museum de New-York, les recherches de l'architecte passent d'abord par la main de l'artiste. Sculpteur, céramiste, aquarelliste, dessinateur, Calatrava exprime dans ses œuvres sa passion pour le corps, la nature, la lumière, la matière, le mouvement, les textures, la vie des formes. Son travail sur le corps illustre l'ambivalence de sa démarche, allant du corps-mesure au corps sensuel, qui transparait dans les figurations de ses aquarelles – et serait à l'origine des courbes de la gare liégeoise – en passant par le corps mécanique, abstrait, réduit à son essence structurelle dans la série des « cubes », qui explore des postures dont certaines seront transcrites en architecture. De projet en projet, la main, les bras levés, la jambe, l'œil informent la structure et lui ajoutent, au-delà de l'anthropomorphisme et de l'anthropométrie, une portée symbolique et une dimension humaine qui transcende la monumentalité.