Scherzi Musicali

1607. Claudio Monteverdi publie ses Scherzi Musicali, un recueil de pièces strophiques à trois voix. Le terme « scherzo » est usité en italien dès le 14e siècle pour décrire une forme de jeu, de divertissement. À la fin du 16e siècle, il désigne, en littérature, un poème anacréontique (sur le modèle d'Anacréon, poète grec du 6e siècle avant J.-C., qui célèbre les plaisirs de l'amour et de la table) destiné à être mis en musique. Près de 400 ans plus tard, c'est ce nom, « Scherzi Musicali », que Nicolas Achten choisit pour son ensemble, un nom qui évoque une époque, un nom qui évoque un état d'esprit.

Un ensemble jeune, dont la plupart des membres sont encore bien loin de la trentaine.

Un ensemble à géométrie variable, dont la vocation est de mettre à l'honneur les musiques et les compositeurs contemporains de ces Scherzi Musicali monteverdiens.

Un ensemble qui figure déjà parmi les plus prometteurs de la scène baroque.

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Nicolas Achten, 25 ans à peine, dirige son ensemble d'une main de fer dans un gant de velours ; il a une idée très précise de ses choix artistiques tout en laissant libre cours à la sensibilité de chacun, veillant à ce que tous puissent disposer d'un espace qui leur est propre. Il prépare ses productions avec le plus grand soin, éditant souvent lui-même les partitions, chiffrant la basse continue, afin que tous bénéficient d'un matériel correct pour travailler dès le départ de manière efficace. Hanté par « comment chanter la musique ancienne », Nicolas Achten a pu trouver sa voie – sa voix –, puisant sa technique et son inspiration auprès des 29 professeurs qui l'ont accompagné plus ou moins longtemps.

1607. C'est aussi l'année de publication de l'Orfeo de Claudio Monteverdi – une Favola in musica –, composé sur un livret d'Alessandro Striggio et très largement considéré comme étant le premier opéra de l'histoire de la musique, éclipsant les tentatives du même genre d'Emilio Cavalieri, de Jacopo Peri ou de Giulio Caccini, compositeurs romains actifs à Florence, attachés à la question du « comment parler en musique », autrement dit à la question du « comment rendre musicalement l'impact émotionnel de la tragédie ».

Sans rien ôter à l'idée du génie de Monteverdi ni à son Orfeo, Nicolas Achten rétablit enfin cette sorte d'injustice historiographique en nous offrant le premier enregistrement de L'Euridice de Giulio Caccini (1551-1618), une œuvre méconnue et pourtant d'importance dans l'histoire de la musique. Si Caccini reste dans l'ombre de Monteverdi, Nicolas Achten veut lui donner sa chance. Il pose d'ailleurs cette question, avec beaucoup de justesse, comment peut-on juger une œuvre pareille aujourd'hui si on ne lui a pas donné la chance d'exister ?  Son disque, sorti en 2008, fait événement et est salué unanimement par la presse spécialisée :
[...] Le continuo est [...] de premier ordre, varié, coloré [...] , d'une richesse polyphonique et d'une pertinence théâtrale admirables. [...] les chanteurs sont convaincants, tant dans le recitar cantando que dans les passages ornementaux [...]. Réjouissons-nous donc ? : L'Euridice est enfin dignement ressuscitée. (Diapason)

L'œuvre de Caccini prend place dans un très bel écrin – digipak à deux volets pour le disque, livret séparé, le tout dans un fourreau – publié chez Ricercar.

C'est à Florence, précisément, qu'on trouve les fondations du drame lyrique. Dès 1576, Giovanni Bardi, comte de Vernio, s'entoure d'érudits, de poètes, d'artistes, formant la « Camerata Bardi », lieu de réflexion sur l'une des grandes passions des esprits humanistes : la redécouverte et le renouvellement du drame grec.

Faisant référence aux modèles supposés de l'Antiquité, ils mettent en place, peu à peu, un nouveau langage musical, un langage simple, vrai, où la musique est le seul moyen de rendre les affects évoqués par le verbe. Autrement dit, pour rendre une place de choix au texte et pour correspondre à l'idée qu'ils se faisaient de la tragédie grecque, ils vont tenter l'expérience et développer un mode de chant soliste accompagné d'un instrument : le récitatif.

C'est dans ce contexte bouillonnant de culture et de soif de l'Antiquité que naissent les premiers « opéras », faisant la part belle à cette nouvelle manière de chanter. Plusieurs compositeurs s'essaient au genre. Jacopo Peri et Giulio Caccini s'en disputent la paternité, chacun d'eux travaillant sur un même mythe, celui d'Orphée, à partir du livret d'Ottavio Rinuccini. Si la Première de l'Euridice de Peri précède la Première de l'Euridice de Caccini, les imprimés qui nous sont parvenus révèlent que l'édition de l'œuvre de Caccini devance de moins de deux mois l'édition de celle de son rival. C'est dire l'émulation qui régnait alors.

Bien que les deux compositeurs poursuivent un même but, leur langage musical est néanmoins différent. Le langage de Caccini est plus « vocal », peut-être plus technique (phénomène sans doute lié à sa fonction de chanteur virtuose), avec une profusion de traits mélodiques.

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