Maho, magno, bayo ou mayo ? - 1re partie
JoachimBeuckelaer400
La mayonnaise peut revendiquer la place de sauce la plus populaire en Belgique. En effet, la mayo, tout le monde la connaît. Et pourtant, que sait-on de son histoire ? Comme pour de nombreux produits, elle offre bien des surprises. Mais surtout, elle nous fait perdre notre latin. Tout, dans l'histoire de cette sauce, est compliqué. De l'étymologie de son nom à ses origines, rien n'est tout à fait clair. Il est temps de faire le point sur ce problème épineux et de poser les bonnes questions, même si toutes les réponses ne sont pas nécessairement au rendez-vous.
 

Avouons-le, l'alimentation quotidienne des Belges a la triste réputation de baigner dans la mayonnaise. D'ailleurs, les Français en voyage dans notre beau royaume manifestent souvent une certaine perplexité face aux choix proposés dans nos snacks favoris. Qu'ils se rendent dans une friterie, dans une sandwicherie, dans un snack pita ou dans un burger restaurant, la quasi-totalité des plats qu'on leur propose sont inondés de mayonnaise ou de l'un de ses nombreux dérivés. Attention donc, n'oublions pas que la mayonnaise est un aliment superflu. Elle ne doit être consommée qu'occasionnellement et en petite quantité1.

Ce petit conseil diététique diffusé, intéressons-nous de plus près à cette sauce d'un genre particulier.

Joachim Beuckelaer, Marchande d'œufs, 1565. À la Renaissance, les œufs peuvent servir à lier des farces, à lier des sauces ou à confectionner un sabayon. Par contre, ils ne sont pas utilisés pour leur propriété émulsifiante.

Une étymologie controversée

En ces temps propices aux barbecues, quelques questions existentielles taraudent bon nombre de nos compatriotes. Autour de la table de jardin, généreusement garnie d'aïoli, d'andalouse, de tartare, de cocktail, de samouraï, de béarnaise, de curry ou d'américaine, la même interrogation revient constamment sur la nappe : quelle est l'origine de la mayonnaise ? Éclate alors le sempiternel débat aussi vieux que la sauce elle-même qui, au début du 19e siècle, hésite encore à s'appeler « mahonnaise », « bayonnaise », « mayonnaise » ou « magnonnaise ». D'emblée, la conversation s'avère houleuse.

Bien entendu, chacun y va de sa petite histoire glanée dans une source parfaitement honorable. Les uns reprennent le très respecté Prosper Montagné, auteur du Larousse gastronomique, pour affirmer que la mayonnaise tire son nom de l'un de ses principaux ingrédients, le jaune d'œuf, appelé moyeu au Moyen-Âge. Néanmoins, quand on sait que le mot « mayonnaise » ne date que du début du 19e siècle, il est difficile d'admettre qu'il soit tiré d'un terme ayant disparu depuis des siècles.

D'autres citent l'immense Antonin Carême, maître incontesté de la cuisine du 19e siècle. Ce dernier ne veut admettre d'autre forme que « magnonnaise », dérivée du verbe « manier » ou « magnier », action indispensable à l'obtention d' « une sauce veloutée très-moelleuse et très-appétissante, unique dans son genre, puisqu'elle ne ressemble en rien aux autres sauces qui ne s'obtiennent que par des réductions du fourneau »2. Hypothèse intéressante, mais difficile à vérifier. Et si le grand cuisinier prétend que seul le terme « magnonnaise » est utilisé dans les grandes cuisines, force est de constater qu'André Viard, auteur du Cuisinier impérial et le tout premier à donner la recette de cette sauce, choisit la forme « mayonnaise »3, tel un « mal appris » selon Maurice de Courchamps, qui, lui, a opté pour « bayonnaise »4. Néanmoins, des années plus tard, Viard se ravise et abandonne « mayonnaise » pour « magnonnaise »5.  Il rejoint ainsi Carême, Audot et Robert dans leurs convictions.

D'autres encore évoquent Littré, grande référence en matière de langue française. À l'article « mayonnaise », ce dernier stipule que certains auteurs préconisent « mahonnaise », de Mahon, dans les Baléares, en souvenir de la prise de cette ville par le Duc de Richelieu en 17566. Ici, nous ne pouvons qu'appeler à la prudence. L'expérience a souvent enseigné aux historiens de l'alimentation qu'il est très dangereux de vouloir attribuer la découverte ou l'origine d'un mets à un personnage illustre ou à un événement exceptionnel, erreur maintes fois commise au cours des 18e et 19e siècles7. En outre, la première occurrence de « mayonnaise » date de 1806, chez Viard, à savoir 50 ans après la bataille. C'est beaucoup trop !

Fidèles au Trésor de la Langue Française, certains évoquent un deuxième lieu ayant pu donner son nom à la « Mayonnaise ». Il s'agit de Bayonne, déjà à l'origine de divers mets à la « bayonnaise ». Pourtant, les plats « à la bayonnaise » ont comme caractéristique principale de contenir du jambon (de Bayonne, cela va de soi)8. Ils peuvent également désigner des cuisses de volaille marinées9. Nous n'avons hélas trouvé aucune recette « à la bayonnaise » approchant celle de notre mayonnaise.

Enfin, on peut citer quelques histoires faisant référence à des personnages historiques tels que Charles de Lorraine, duc de Mayenne ou le général Mac-Mahon. Nous réitérons ici nos soupçons face aux hypothèses faisant intervenir des grands personnages.

Bref, il est très difficile de trancher parmi ces diverses hypothèses dont aucune ne donne entièrement satisfaction. Les conversations autour du barbecue pourront encore s'animer longtemps...


 

 
1 L'Enquête de consommation alimentaire en Belgique menée en 2004 est particulièrement éloquente sur les excès de consommation d'aliments gras (voir le site gouvernemental http://www.iph.fgov.be/EPIDEMIO/epifr/foodfr/TABLE04.HTM).
2 M. A. Carême, Le cuisinier parisien, ou l'art de la cuisine française au XIXe siècle, 2e édition, Paris, 1828, p. 5.
3 André Viard, Le cuisinier royal, Paris, 1820, p. 62.
4 Dictionnaire général de la Cuisine Française Ancienne et Moderne, Paris, 1853, p. 437.
5 André Viard, Le cuisinier royal, Paris, 1846, p. 152.
6 Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1874, t. 3, p. 480, col. 1.
7 Citons parmi les exemples les plus illustres, la Chantilly de Vatel, les artichauts apportés par Catherine de Médicis, les pâtes par Marco Polo et les pommes de terre par Parmentier.
8 Antoine Beauvilliers, L'art du cuisinier, Paris, 1824, p. 336.
André Viard, op. cit., p. 298.
P. C. Robert, La grande cuisine simplifié, Paris, 1845, p. 93, 184, 272.
9 Mesdames Pariset, Gacon-Dufour, Celnart, Nouveau manuel complet de la maîtresse de maison, Paris, 1852, p. 168.

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