À la table d'Apicius -1re partie : sauces

Parmi les nombreuses influences de la gastronomie médiévale occidentale, l'art culinaire gréco-romain occupe une place non négligeable. Il a puisé son inspiration dans le lointain et le proche Orient, ainsi que dans toutes les provinces de l'Empire, de la Gaule à l'Afrique du Nord.

La cuisine romaine nous est connue grâce à une compilation de recettes du 4e siècle après J.-C., l'Art culinaire. Attribué au fameux gourmet Apicius, ce recueil nous livre une série de recettes exotiques et raffinées, aux nettes senteurs d'orient, mélangées aux arômes des herbes autochtones.

Une cuisine gréco-romaine

Comme dans de nombreux domaines, les Romains puisent leur inspiration culinaire chez leurs maîtres culturels les hellènes. Ces derniers n'ont pas manifesté de goût particulier pour les fastes de la table jusqu'à la conquête de la Lydie, jusqu'alors dominée par les Perses, et la Sicile, ancienne colonie phénicienne. Mais avant tout, la cuisine grecque, tout comme la romaine, est axée sur un principe fondamental : elle est un indice de civilisation. C'est en domestiquant ce qu'on mange, tout en le rendant conforme aux principes diététiques et en le consommant selon un rituel consacré qu'on peut se considéré comme civilisé.

Du pain, du vin et de l'huile

cuisson du pain

L'alimentation grecque se base sur le triptyque pain-vin-huile (En fait de pain, nous devrions plutôt dire « galette » en ce qui concerne le monde classique, le pain levé à la levure de bière serait plutôt une spécialité celtique) Bien plus que de simples denrées alimentaires, ces trois produits sont de véritables marqueurs identitaires pour les Grecs et, plus tard, pour les Romains. Selon ces derniers, le pain, le vin et l'huile sont autant de facteurs de civilisation, sorte de frontière entre leur monde et celui des barbares. Dans leurs conceptions, un homme civilisé ne peut se nourrir que d'aliments civilisés, c'est-à-dire issus du travail de l'homme. C'est pourquoi ne sont valorisés que les produits agricoles subissant une transformation, ce que sont précisément le pain, le vin et l'huile.

 

< La cuisson du pain sur une fresque de Pompéi

Les sauvages, quant à eux, prélèvent dans la nature ce dont ils ont besoin pour vivre. Ils élèvent des bêtes en semi-liberté sur des terrains incultes afin d'en tirer du lait et de la viande. D'où l'opposition théorique entre les barbares mangeurs de viande et buveurs de lait et les civilisés consommateurs de pain et de vin.

Le triptyque pain-vin-huile connaît un destin exceptionnel. D'abord sacralisé par les Grecs, il traverse toute l'époque romaine pour être confié en héritage aux chrétiens qui le sacralisent à leur tour dans la cérémonie de l'eucharistie. Néanmoins, dans l'Europe médiévale, tout aussi influencée par les « barbares germaniques » que par les « civilisés gréco-romains », l'huile cède sa place à la viande, symbole de puissance chez les guerriers amateurs de chasse dans la forêt.

Une alimentation diététique

Fruits Pompéi300

La nature des produits n'est pas seulement prise en compte pour déterminer l'aspect civilisé des comportements alimentaires. Les Grecs, et ensuite les Romains, ne mangent pas que pour se rassasier. Ils mangent pour se maintenir en bonne santé, selon des règles de diététique bien précises développées dans les textes attribués à Hippocrate et enrichies par Galien. Nous reviendrons plus tard sur cet aspect technique et complexe qui a marqué l'alimentation pendant plus de deux mille ans. L'important ici est de bien saisir que les aliments sont choisis en fonction de la compatibilité de leurs qualités avec celles de l'individu et que leur préparation est censée corriger ou renforcer ces qualités.

Manger ensemble

Un troisième indice de civilisation dans les habitudes alimentaires grecques et romaines est la convivialité. On se réunit pour manger, certes, mais aussi pour se retrouver ensemble, pour vivre un rituel qui soude le groupe autour de la table. Ce dernier comprend le convivium et le symposium.

Ce rituel trouve son origine dans les codes érigés par les Grecs. Avant tout, on se lave les mains, coutume qui reste de vigueur pendant tout le Moyen Âge et l'Epoque Moderne. Ensuite, on se couche sur des lits et on déguste plusieurs séries de mets communs apportés par vagues successives sur la table. On se sert à sa guise dans chacun des plats et on mange sans l'aide de couverts, ni d'assiettes. Comme de nombreuses recettes comportent de la sauce, les galettes de céréales s'avèrent très utiles. Une fois le repas terminé, on passe au symposion, c'est-à-dire à la consommation des boissons. On sépare en effet dans le temps les consommations du solide et du liquide. L'apport essentiel de l'Europe médiévale dans ce rituel est le banc sur lequel on s'assied pour manger.

 

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