Emmanuèle Sandron : « Une littérature trop peu traduite »
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Titulaire d'une licence en traduction de l'École d'interprètes internationaux de Mons et d'un troisième cycle du Centre européen de la traduction littéraire situé à Bruxelles, Emmanuèle Sandron est chargée à l'ULg depuis 2009-2010 des cours de traduction littéraire du néerlandais vers le français. Elle a publié trois romans chez Luce Wilquin (Le double fond, Celtitude, Sarah Malcorps), deux albums jeunesse (Les îles Lointaines, avec Charley Case, Éd. Circonflexe, Lettre à Maïté, avec Charley Case et Manuela de Tervarent, Éd. Grandir), des nouvelles en revue et des poèmes (En transe, avec des lithographies de Charley Case, Éd. Bruno Robbe). Elle est notamment la traductrice des polars de Pieter Aspe chez Albin Michel et du Mois des papillons d'Ariëlla Kornmehl chez Actes Sud. Elle a aussi traduit une bonne vingtaine d'ouvrages pour la jeunesse. Enfin, elle est membre de la commission Littérature jeunesse du Centre national du Livre à Paris, où elle expertise des manuscrits originaux et des traductions jeunesse faisant l'objet de demandes d'aide à l'édition.

 

Flamands  /Hollandais

« Avec les auteurs néerlandais, je suis à l'étranger, presque en Allemagne, tandis qu'avec les auteurs flamands ,se présente pour moi, Belge francophone, la grande difficulté de traduire un autre presque identique. Quand je traduis le Brugeois Pieter Aspe, par exemple, j'ai souvent l'impression qu'il m'est plus proche que je ne le suis de mon lectorat français, ou que je suis à mi-chemin, et que je dois rendre la belgitude accessible à la France. Il présente des comportements comme typiquement flamands ou brugeois alors que nous avons les mêmes à Mons, Namur ou Liège. Le traduire est une opération intellectuelle vivifiante, sportive et réjouissante. On dit souvent que le Flamand est plus concret, plus baroque, plus croustillant, plus idéaliste, plus fou, le Néerlandais plus abstrait, plus distant, plus intellectualisant; c'est ce que j'expérimente aussi. Il n'empêche que traduire un auteur, c'est toujours et avant tout faire passer une voix singulière, un univers, une vision du monde.» 

 

Catholiques / Protestants

« Du fait du protestantisme, les Hollandais sont obnubilés par l'idée de transparence (ne rien cacher), au propre (une fenêtre sans voilage à travers laquelle les passants peuvent tout voir de l'intérieur des maisons, jusqu'au jardin) comme au figuré. En Flandre, le bon vieux fond catholique nourri de non-dits et de culpabilité reste très prégnant chez de nombreux auteurs. Les deux visions ont leur charme... »

 

Seconde Guerre mondiale

« Chez les auteurs néerlandais, revient régulièrement une référence aux camps tenus par les Japonais en Indonésie, comme dans le magnifique Over de liefde (De l'amour) de Doeshka Meijsing. Chez les auteurs flamands, il me semble important de noter l'entreprise de grande ampleur menée par Erik Vlaminck, Het schismatieke schrijven, kroniek van een familie (L'écriture schismatique, chronique d'une famille). En trois tomes, l'auteur revisite l'histoire familiale et l'histoire de Flandre (de Belgique) au 20e siècle, dans un genre hybride qui tient du journal, de l'enquête, de l'autofiction et du roman (j'appelle cela de l'autofiction familiale). Cela donne un document historique, social, intellectuel et romanesque d'une grande force et d'une belle authenticité. »

 

mortier

Traductions

« On traduit relativement peu de littérature de langue néerlandaise et les traducteurs littéraires du néerlandais sont paradoxalement très peu nombreux (paradoxalement car la Belgique devrait pouvoir offrir un bon vivier). Philippe Noble fait un excellent travail de défricheur et de découvreur chez Actes Sud, où il dirige la collection " Lettres néerlandaises ". Il se passe également des choses intéressantes chez Gallimard, qui a récemment publié Willem Frederik Hermans dans une traduction de Daniel Cunin (lire son interview) et chez Fayard, où Marie Hooghe traduit Erwin Mortier. »

 

Influences

« J'ai l'impression que certains auteurs flamands et néerlandais se sentent à l'étroit sur leur terrain linguistique et qu'ils voudraient toucher soit la France, pour son capital symbolique, soit les États-Unis, pour le succès. Je me souviens avoir lu récemment un Leon De Winter qui aurait très bien pu être écrit par un auteur américain (sujet, décor, intrigue, style). Or ce que l'on aime chez un auteur, c'est qu'il soit singulier, distinct, différent, pas qu'il ressemble à tous les autres. »

 

État actuel

kornmehl
schoeman

L'Afrique du Sud continue à nourrir un volet important de la littérature néerlandaise. Le Mois des papillons d'Ariella Kornmehl montre une Hollandaise d'aujourd'hui travaillant comme médecin dans un hôpital sud-africain. Elle a des collègues afrikaners et une servante zouloue. Ce magnifique portrait de femme, mais dans le contexte sud-africain et avec un regard hollandais, apparaît comme une « réponse » de la littérature néerlandaise à sa sœur, la littérature afrikaans. À cet égard, il me semble important de citer les grands romans de Karel Schoeman traduits de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein (Retour au pays bien aimé, La Saison des adieux, Cette vie).

Il y a beaucoup d'autres noms, bien sûr. Je porte très haut les écritures fines et introspectives d'Hella Haasse et d'Anna Enquist. On peut encore citer Doeshka Meijsing, Adriaan Van Dis, Leon de Winter ou Arnon Grunberg, le roi de la provoc.


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En Flandre, nous avons beaucoup de voix singulières et très intéressantes, comme Erwin Mortier, Erik Vlaminck, Pol Hoste...

Propos recueillis par Michel Paquot
Juin 2010

 

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Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.