Regard sur la littérature néerlandaise contemporaine

Existe-il, dans la littérature flamande, un courant « autonomiste » ou indépendantiste?

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Si ce courant existe, il est négligeable et fort marginalisé. Si la littérature flamande moderne est née dans le même berceau que le nationalisme flamand, tous deux étant au 19e siècle les fruits d'un nationalisme romantique, leurs voies se sont ensuite graduellement scindées. Cette évolution a pris plusieurs générations et s'est accélérée après la Seconde Guerre Mondiale, une bonne partie du nationalisme flamand s'étant sérieusement compromise en s'alliant aux idéologies réactionnaires et antidémocratiques des années 1930. À quelques exceptions près, les auteurs flamands n'ont pas suivi cette voie. Après la guerre, la littérature s'est transformée en une littérature résolument moderne, internationaliste, prenant ses distances par rapport à ce type de nationalisme nostalgique. Un exemple de cette évolution est à nouveau Claus, qui est lui-même issu d'un milieu nationaliste, conservateur et catholique. Dans l'après-guerre, il est devenu l'un des plus importants représentants de la littérature flamande moderne, qui se voulait le plus souvent anticatholique, antinationaliste, progressiste. C'est à cette lumière qu'il convient de lire ses grands romans sur l'histoire récente de la Flandre et de la Belgique,  De verwondering (1962, L'étonnement) et Het verdriet van België (1983, Le Chagrin des Belges).

 

La littérature néerlandaise subit-elle des influences des littératures françaises ou anglo-saxonnes ?

Les influences de la littérature française sont quasi-inexistantes, c'est surtout la littérature anglo-saxonne qui fournit les modèles. Il s'agit d'une évolution assez récente, surtout dans la littérature flamande qui a très longtemps été ouverte aux influences françaises par la proximité de la francophonie et par le fait qu'un grand nombre d'auteurs flamands étaient de vrais bilingues. De nos jours, ces bilingues sont devenus des oiseaux rares. On constate ici ce que l'on constate au niveau de la Belgique en général : les deux communautés linguistiques ne se connaissent plus, ne se lisent plus, ne se parlent plus. Les Flamands de nos jours s'orientent vers le nord ainsi que vers le « village global » dont la langue véhiculaire est l'anglais.

 

Quel est la place, dans cette littérature, des auteurs venus d'ailleurs ?

bloem

Une partie importante de la littérature récente des Pays-Bas est écrite par des auteurs dont les racines se situent dans les anciennes colonies (les Indes néerlandaises, le Surinam, les Antilles,...) ou dont les parents étaient des travailleurs immigrés. La production et la réception de cette littérature ont connu plusieurs vagues. Pendant la période de la décolonisation, c'est-à-dire dans les premières décennies de l'après-guerre, le sujet de la relation entre la mère patrie et les anciennes colonies était douloureux et peu abordé. Le sujet a été ouvert dans les années 1970 et 1980 pendant lesquelles les auteurs issus des anciennes colonies ont été très à la mode. Un roman bien représentatif pour cette mode est Geen gewoon Indisch meisje (1983, Une fille des Indes pas comme les autres) de l'écrivaine Marion Bloem (1952).

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Dans les années 1990, à l'époque de l'euphorie multiculturaliste, ce sont surtout les auteurs de la « deuxième génération », les enfants des travailleurs immigrés, qui ont été promus par les éditeurs et découverts par le public. Parmi eux se trouvent quelques auteurs très intelligents et talentueux, comme Hafid Bouazza, un auteur d'origine marocaine qui a thématisé les problèmes auxquels les immigrés en Europe se trouvent confrontés, tout en critiquant fortement l'obscurantisme d'une certaine partie des immigrés maghrébins et islamiques.

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À la fin du 20e siècle, d'autres auteurs d'origine étrangère ont profité de l'attention généralisée pour des auteurs « exotiques » et « multiculturels ». Citons parmi eux, Kader Abdolah, refugié politique iranien dont l'œuvre jouit d'une immense popularité bien qu'il soit peu apprécié par les connaisseurs et les spécialistes de la littérature.

Pour ce qui est de la Flandre, on ne peut que constater que la colonisation belge n'a laissé que très peu de traces dans sa littérature. L'unique auteur important à avoir écrit de façon extensive sur ses expériences congolaises est le romancier Jef Geeraerts (1930). Dans les années 1960 et 1970, il a publié une série de romans et de nouvelles vitalistes où la glorification de la sexualité « sauvage » a été considérée comme une véritable provocation à la moralité traditionnelle. D'autre part, il n'existe pas aujourd'hui de pendant flamand de cette littérature de la « deuxième génération », c'est-à-dire des enfants des immigrés nord-africains, que l'on retrouve aux Pays-Bas.

 

Quel est l'importance de la littérature néerlandaise en Belgique et aux Pays-Bas aujourd'hui ?

La littérature en « néerlandophonie » s'est profondément transformée durant les dernières décennies, elle devient de plus en plus médiatisée et commercialisée. Un petit nombre d'écrivains néerlandais et flamands – Tom Lanoye, Herman Brusselmans, Arnon Grunberg, Connie Palmen... – jouissent d'une très grande popularité et leurs ouvrages se vendent par dizaines ou centaines de milliers. Mais en dehors de cela, cette littérature semble s'appauvrir et les revues littéraires et la critique connaissent une régression inéluctable. C'est une évolution d'ailleurs présente dans toutes les littératures européennes, mais mon hypothèse est qu'elle se manifeste plus rapidement et de façon plus aiguë dans les littératures petites et moyennes. C'est lié, je crois, à la taille modeste de leur marché littéraire qui réduit la marge pour publier des ouvrages moins commerciaux. Et ce sont surtout les grands succès internationaux qui sont traduits de nos jours.

 

Quels sont les grands auteurs néerlandais contemporains ?

nooteboom
oosterhoff
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Il existe actuellement deux images très différentes de la littérature néerlandaise. Une première est formée de quelques « grands noms » projetés sur le devant de la scène littéraire par les médias, une dizaine d'auteurs dont le plus connu internationalement est sans doute Cees Nooteboom (1933). Une seconde est fournie par ce qu'on appelle le « canon » contemporain de la littérature néerlandaise défini par les critiques littéraires et les historiens de la littérature, par le milieu intellectuel et académique. Ce sont des romanciers plus expérimentaux, ainsi que des poètes et des essayistes, généralement moins connus du grand public. Par exemple les poètes néerlandais Tonnus Oosterhoff et flamand Dirk van Bastelaere.

 

 

Propos recueillis par Michel Paquot
Juin 2010

 

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Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires. 

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