Quelques parutions récentes traduites du néerlandais

Les éditeurs français traduisent régulièrement des auteurs néerlandais. Actes Sud, Gallimard et Le Castor Astral sont particulièrement actifs sur ce terrain. Le premier réunit des auteurs comme Cees Nooteboom, Hella Haasse ou Anna Enquist au sein de la collection « Lettres néerlandaises » dirigée par Philippe Noble ; le deuxième rassemble Willem Frederik Hermans, Kader Abdolah, Harry Mulisch, Adriaan Van Dis ou Jeroen Brouwers dans sa collection « Du Monde entier » ; et le troisième, via la collection Escales du Nord codirigée par Francis Dannemark, se montre ouvert à la fois aux Flamands (Jef Geeraerts, Willem Elsschot, Stefan Hertmans, Geert van Istendael, Louis Paul Boon) et aux Hollandais (Benno Barnard, Doeschka Meijsing). Mais d'autres éditeurs ne sont pas en reste, par exemple Héloïse d'Ormesson (Stefan van Brijs, Vonne van der Meer), Phébus (Karel Schoeman, Gerard Reve) ou Denoël (Elle Eggels, Carl Friedman, Paul Gellings, Sakia Noort). Voici quelques parutions récentes.

 

Tirza

Tirza, d'Arnon Grunberg (Actes Sud, traduit par Isabelle Rosselin)

Né à Amsterdam en 1971, installé à New York depuis 1995, Arnon Grunberg est considéré comme l'enfant terrible des lettres néerlandaises. Après avoir été publiés chez Plon et Héloïse d'Ormesson, ses romans semblent avoir définitivement trouvé refuge chez Actes Sud où ont déjà paru L'Oiseau est malade (réédité en Babel) et Le Bonheur attrapé par un singe. Tirza, qui donne son titre à cet épais roman initialement paru en 2006, est le prénom de la fille chérie du héros, Jorgen. Celui-ci l'élève seul depuis les départs successifs de sa femme, trois ans auparavant, et de son aînée. Le jour de la fête organisée pour l'obtention de son bac, la jeune fille lui présente son petit ami marocain, Choukri, qu'au premier abord Jorgen n'apprécie guère. Et qu'il a vite fait de rebaptiser Mohammed Atta car il pressent chez lui la même haine à son égard, et envers tout ce qu'il représente, que chez le chef des pirates de l'air des attentats du 11 septembre 2001. C'est donc contre son gré que les deux tourtereaux s'envolent pour la Namibie. D'où, rapidement, ils ne donnent plus signe de vie.

Tirza est un roman magnifique, tout en intériorité. Le lecteur pénètre dans les pensées du père, découvre sa vie de couple, l'étrange comportement de sa femme qui s'en va subitement et l'enfance de ses deux filles, notamment de sa cadette dont il s'est toujours senti le plus proche. Un personnage extérieur traverse également ce livre, une copine de Tirza qui, prétendant « abolir l'amour », ne cesse de l'intriguer. (431 pages, 23,80 €)

 

vanmersbergen

Demain, à Pampelune, de Jan Van Mersbergen (Gallimard, traduit par Lucie Voorhoeve))

Un jeune boxeur traverse la ville en courant sous la pluie. Il est pris en stop par un homme qui descend à Pampelune pour la feria. Au fil du trajet, il se confie progressivement et refait le chemin qui l'a conduit à fuir Amsterdam. Sa vie de boxeur, avec ses combats parfois douteux, une histoire d'amour qui tourne mal, un drame de la jalousie. C'est le portrait d'un homme fragile, confronté à un monde de compromissions peut-être pas fait pour lui, que décrit ce quatrième roman (et premier traduit en français) construit comme un suspense d'un homme de théâtre né à Amsterdam en 1971. Un récit alterné et croisé : à la déconstruction de tout ce en quoi croyait Danny, répond la construction d'une amitié avec le chauffeur de la voiture. (206 pages, 17,90 €)


 

beve

En route vers la fin, de Gerard Reve (Phébus, traduit par Bertrand Abraham)

« D'un côté, le moindre centime déboursé pour quelque chose d'aussi coupable ou d'aussi inutile que l'art en général et la littérature en particulier est de l'argent dépensé en pure perte, de l'autre, l'art en général et la littérature en particulier sont des choses si grandes et si élevées (...) que les rétribuer en argent revient en fait à la dévaloriser. » Ces paroles contre son pays où la situation des écrivains est « déplorable » datent de 1963. Gerard Reve (1923-2006) ne décolère pas contre la politique culturelle des Pays-Bas et réclame, avec d'autres, que la littérature y soit subventionnée au même titre que le théâtre ou l'opéra. Cette harangue virulente est l'objet de l'une des six lettres qui forment ce livre paru en 1963 (et vingt-cinq fois réédité). Dès la première, écrite d'Edimbourg où il assiste à un colloque littéraire, il s'élève contre le fait que les écrivains néerlandais soient à ce point peu considérés qu'ils ne peuvent que très difficilement vivre de leur plume. Tout en s'en prenant à Robbe-Grillet et à Henri Miller, à la laideur des gens ou des bâtiments, à la médiocrité des interventions et à l'imbécilité des gens qu'il croise, il parle de son homosexualité, qu'il revendique publiquement, conscient d'appartenir à une minorité toujours susceptible d'être persécutée. De cet écrivain, considéré comme majeur en langue néerlandaise, cinq livres seulement ont été traduits en français, chez Gallimard ou, déjà, chez Phébus qui a publié en 2005 Mère et fils. (226 pages, 21 €)

 

bakker

Là-haut, tout est calme, de Gerbrand Bakker (Gallimard, traduit par Bertrand Abraham)

Grand succès aux Pays-Bas en 2006, ce premier roman d'un écrivain né en 1962 a également trouvé son public en France puisqu'il a été plusieurs fois retiré depuis sa sortie l'automne dernier. A 55 ans, Helmer, qui fait tourner depuis trente-cinq ans la ferme familiale dans la campagne hollandaise, décide, pour la première fois, de prendre sa vie en mains. Il commence par installer son père grabataire dans la chambre du haut avant de refaire l'ensemble de la décoration. Il veut oublier que cette vie, il ne l'a pas choisie. Que c'est son frère jumeau avec qui il formait enfant un tandem inséparable qui devait reprendre l'exploitation. Lui-même nourrissait d'autres désirs, il voulait suivre des études à Amsterdam. Mais la mort tragique de Henk dans un accident de voiture en a décidé autrement. Il en a gardé une profonde rancœur contre son père. Et s'est installé sous une chape de non-dits et de silences seulement troublés par la voisine et ses deux jeunes enfants.

Et puis un jour, il reçoit une lettre de Riet, l'éphémère fiancée de son frère, celle qui les avait séparés. Elle est mère d'un fils de dix-huit ans perturbateur qu'elle lui demande d'accueillir. Une nouvelle cohabitation naît dans cet univers peuplé d'animaux dont il faut s'occuper en permanence. Gerbrand Bakker parvient à créer un vrai climat, étouffant sans doute, mais avec une porte de sortie que son narrateur ne cesse de chercher. Et qu'il finira par trouver. (351 pages, 21,90 €)

 

demoor

Une catastrophe naturelle, de Margriet de Moor (Maren Sell, traduit par Danielle Losman)

Dans son roman, le cinquième traduit en français, Margriet de Moor mêle le tragique de l'Histoire à celui d'une histoire imaginaire. Le 31 janvier 1953, les Pays-Bas sont victime d'un raz-de-marée extrêmement meurtrier qui va décider du destin de ses héroïnes. Ce jour-là, en effet, cédant aux supplications de sa sœur Amanda, Lidy part en Zélande avec sa filleule. Elle n'en reviendra pas et Amanda, de son côté, épousera son mari devenu veuf, dont elle aura deux enfants, sans trop manifester de remords. Alternativement, nous suivons les deux époques. Tandis que Lidy se bat contre les éléments, bien plus tard dans le temps sa sœur poursuit tranquillement sa vie. La force de ce roman empli d'émotions est sa subtile construction grâce à laquelle, pour le lecteur, les deux sœurs restent intimement liées l'une à l'autre. (334 pages, 23 €)

 

 

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